Trois semaines déjà ?!?
Je sais, je radote, mais c’est un fait :
le temps passe à une vitesse, c’est est hallucinant !
Et oui, me revoici dans cette fameuse salle,
antichambre des soins,
antichambre des angoisses,
au sein d’une population qui cohabite
mais ne se regarde qu’en chien de faïence…
Les questions existentielles y fusent selon les individualités et les centres d’intérêt.
D’ailleurs, avant d’arriver « à destination », l’une des deux ambulancières qui m’avait acheminée m’en avait posé une assez surprenante :
« Croyez-vous en la victoire de l’équipe de France face à l’Allemagne ? »
Diantre, je l’avais presque oublié !
Ce n’est pourtant pas faute de subir
le matraquage médiatico-fooballistique,
et ces jungles hyper-chiants « RTL-istiques »
pseudo-brésiliens, entre deux flashs
d’infos, réduisant la perception
collective d’un pays à la gorge
d’une pulpeuse nunuche…
La rencontre devait avoir lieu ce soir dès dix-huit heures et j’avais répondu :
« Et bien, ce n’est pas dans le domaine de l’impossible !
Et puis, si « les petits » pouvaient nous venger de l’affront de 1982… »
Elle :
« Incroyable, l’histoire de cette blessure
qui ne s’est jamais refermée !
Mon père m’a souvent parlé de ce match. »
Son Père ?!?
Ô cruelle…
Elle venait de m’assassiner !!!
Bon sang, mais c’est bien sûr,
la belle n’était même pas née à cette époque,
quand déjà j’en avais plus de vingt-quatre
(mais bien loin encore des quatre-vingt !)…
Séville, le 8 juillet 1982,
tout le monde se souvient de ce qu’il a fait ce soir-là.
Personnellement, je marchais dans les rues d’Angers qui, si elles étaient désertes n’en n’étaient pas silencieuses pour autant. Chaque fenêtre était ouverte, familles et amis scotchés devant le poste de télévision au tube cathodique, suscitant moult commentaires endiablés.
Le foot, c’était pas trop mon truc, mais à ce niveau, la fibre nationale avait pris le dessus.
« Je vivais seul avec Maman », comme dans la chanson de Mister Charles « Znavour » (je l’appelais ainsi) dans un très vieil appartement.
Je me faisais une joie de partager ce moment
avec « la première femme de ma vie »,
comme tous les fils, Joe Dassin en tête,
dans l’un de ces titres les plus touchants…
Le bonheur, ce peut être quelque chose de tout bête, ces instants où l’on se trouve à côté de ceux qu’on aime, sans ce poser plus de question…
Ali, séquence dont je vais parler plus tard,
m’en donna une merveilleuse définition…
Mais un coup de fil avait tout remis en question.
« Nom de gouet (!!!) », était-ce trop demander au reste de l’Humanité de me lâcher les boots, au moins pour une soirée ?!?
Je décrochai notre bon vieux combiné noir :
« Dédée ? Comment as-tu eu mon numéro ?!? »
« Dédée », femme approchant la cinquantaine, c’était le côté obscur de ma jeune existence. Le jour, j’étais à l’instar du Dr Jekyll, quelqu’un de très respectable. Mais dès la nuit tombée, sans être Mister Hyde,
(avant, j’avais cette tête-là, mais ça, c’était avant!)
je cessais d’être le gentil petit garçon à sa Maman…
Mon interlocutrice tenait un de ces bars de nuit où j’avais échoué, entraîné par quelques compagnons de débauche. Parmi eux, était Jean-Marc, ex-camarade de Lycée, qui m’y avait entraîné en été 1977.
Dès Septembre, les Beaux-Arts allaient m’ouvrir leur porte pour la première fois, alors, tant qu’à passer des vacances, autant profiter du repos de ce guerrier que je n’étais pas encore.
Hum, elle n’étaient pas vilaines les petites,
et encore moins farouches !
Et moi, si jeune, si inexpérimenté…
J’avais cependant conscience que leur affection ne dépendait que des liasses qui traînaient au fond de mes poches, et qu’à ce rythme, je n’aurais au bout du chemin que la ruine pour seule compagne, tandis qu’elles iraient plumer d’autres coqs (qu’elles appelaient « pigeons »).
L’amour, le vrai, j’aurais bien le temps d’y repenser.
Tellement de mes camarades s’étaient mariés trop tôt
et le regrettaient, emprisonnés dans une vie désespérément rangée, mômes à l’appui et bedaine naissante !
Il fallait donc raison garder, c’est ainsi que je mis de la distance entre ces lieux et moi, malgré l’estime que me portait Dédé, car pour elle, je n’étais « pas comme les autres ». Effectivement, je n’avais pas la main baladeuse ni l’alcool maussade et mon regard n’était pas lubrique, mais romantique…
De plus, j’avais ce don qu’elle côtoyait si rarement, celui de respecter les femmes. C’était un minimum, n’ayant été élevé que par elles…
Son regard était un véritable appel au crime !
Avait-elle deviné ou savait-elle déjà, qu’en l’éternel féminin, je vénérais plus que tout ces fleurs sauvages, si belles avant qu’elles ne se fanent mais si généreuses, car offrant dans un dernier élan ce qu’il leur reste de cet éclat, qui fait de leur être cette sublime différence charnelle ?
Que pour Elle, j’aurais vendu mon âme
pour me perdre dans ses bras,
suivre ses labyrinthes les plus secrets,
les plus inavouables,
nos parfums et nos corps
ne faisant plus qu’un ?
Jean-Marc, mon copain et meneur de notre bande de mécréants, ne s’embarrassait pas de toutes ces questions. Pour lui, la femme n’était qu’objet de consommation. Il nous avait fait comprendre que « Dédée » était sa « chasse gardée ». Contester la chose, ça aurait été le « goût de taquiner », et comme il était de nous quatre le meilleur boxeur,
qu’en dehors d’un lit
il n’était pas franchement baisant,
Dédée, dont le corps gourmant ne demandait qu’à exulter, et cet olibrius loin d’être manchot dans le domaine de la gaudriole, le débat fut donc clos dès l’été 1977, même si j’avais quinze kilos et autant d’allonge de plus que lui…
Ce « con de Jean-Marc », quand j’y repense…
Oui, j’ai bien dit « ce con », car comment appeler un individu avec de l’or au bout des doigts, pouvant trouver des emplois stables quand le chômage vint pointer le bout de son nez (signifiant définitivement le glas des « trente glorieuses »), ne développant dès lors qu’un seul talent : celui de détruire une vie si prometteuse ?!?
Entre 1977 et 1982, je devais gérer ce que j’avais intitulé « l’amitié triangulaire antinomique ».
Effectivement, Jean-Marc fut mon premier camarade de classe en 6ème et 5ème.
Il était aussi marrant que
Jacques Martin !
Le deuxième, c’était Jean-Michel, en 4ème.
Il me faisait penser à Tony Curtis, dans
« Amicalement Vôtre »
Le troisième, Ali, avait intégré en septembre 1976
ma classe de deuxième année de BEP commercial que j’avais redoublée,
c’était le « gentleman kabyle ».
Le hasard voulu qu’il passa son enfance avec Jean-Marc, vivant dans le même quartier, et qu’il fréquenta pendant un an le même collège que Jean-Michel.
Il se distinguait des autres par son raffinement et son ambition.
Danseur hors pair, c’est lui qui m’avait initié le premier au monde de la nuit, en septembre 1976, dans les « night-club ».
Contrairement à l’auteur de mes jours, je n’avais aucune disposition pour la danse, et j’étais trop timide pour aborder la gent féminine. Je servais donc de porte-manteau à ce nouveau camarade très imbu de sa personne.
Je lui servais aussi de chauffeur, titulaire du permis de conduire depuis le mois de juin.
Ça me changeait les idées, car en avril de cette année-là, une de mes sœurs s’était suicidée, je m’étais brouillé à mort avec mon Père, et la santé de ma Maman, cardiaque, était de plus en plus déclinante.
Et pour terminer en beauté,
entre Noël et le jour de l’an,
j’avais pulvérisé ma 4l (trois tonneaux)…
Elle n’avait même pas six mois et il restait une traite à payer.
Parlez-moi de 1976, mais soignez votre cent mètre chrono après !!!
Ali s’accapara ma personne de plus en plus fréquemment, ce qui agaçait Jean-Marc qui sombrait de plus en plus dans l’alcool, la violence et les lieux de moins en moins fréquentables.
Plusieurs fois, il me fallu intervenir
pour raisonner ceux qu’il avait provoqué,
qui l’attendaient à la sortie…
Il vieillissait à vitesse grand V, ayant cédé son titre officieux en 1980 de « meilleur bagarreur de rue » à plus jeune que lui, un gars de « la boxe française », un clan que j’avais toujours pris soin d’éviter : celui irréductible des non-sédentaires.
Ali étant témoin du K.O. de notre ami, dans ce café qu’évitaient également (quand faire ce pouvait) la police municipale, retenant courageusement le bras du vainqueur :
« Il a son compte, je crois que tu peux arrêter, sauf si tu veux le tuer ! »
A genoux, au dessus du torse de Jean-Marc dont il avait matraqué le visage, il se releva, puis regardant Ali :
« T’es un mec bien, et burné en plus, qu’est-ce que tu fais avec lui ? »
Ali :
« On a été élevé ensemble, ça créé des liens.
Toi t’assommes, moi j’assume… »
Lui, souriant à la vanne, fit un signe à l’un de sa bande :
« Va chercher la vago, ces grands bâtards de morts de« Papa 22 » vont pas tarder à chier dans nos bottes, y’a qu’ du gadjo dans c’te turne de collabos… »
Puis s’adressant à Ali :
« J’te pestrave ton pot une prochaine en ville Pral, ainsi qu’à ton coatch, le balèze frisé… »
Ali, très surpris :
« Tu parles de qui, là ?!?
Lui :
« Ben… Le mec qui est toujours avec toi
et qui ressemble à Mohamed Ali…
Ali avait préféré entretenir l’intox, car ces cons étaient persuadés que j’étais prof de boxe anglaise et d’aïkido, sports que je pratiquais mais à un niveau très amateur !
Par contre, je n’étais pas avare de mes interventions pour séparer les crétins alcoolisés qui prenaient les pistes de danse pour un ring, fort d’un physique qui (admettons-le sans fausse modestie) était plutôt à mon avantage, facilitant ma stratégie première : la diplomatie.
Contrairement aux femmes qui parfois m’accompagnaient, les videurs m’appréciaient pour ce détail qui les délestait de quelques « interventions laborieuses et délicates… »
La patronne du « Duc de Bretagne », ma boîte de nuit préférée et surtout « attitrée » au sortir de mon service militaire, d’où j’étais revenu grièvement blessé en 1980, entretenant dans mon ego un sentiment d’invincibilité, me réservait une bouteille de whisky au bar, ainsi que mon tabouret. Toute personne qui entrait ne pouvait m’éviter,
pensant que j’étais le « videur en titre ».
Autant d’urssaf en moins à payer, et dans le lot, j’avais la consommation (presque) gratuite.
C’est à cette période que mes rapports cessèrent avec Jean-Michel, aidé par sa mère, une personne calculatrice (et assez castratrice !) que je n’avais jamais vraiment apprécié, contrairement à son mari, qui s’était réfugié dans une vie intérieure salvatrice.
Pauvre Jean-Michel, n’y était pour rien. Il ne fut que la victime collatérale de la mutation de mon caractère qui se forgeait, qui se cherchait…
Son monde « B.C.B.G . », était devenu très fade à mes yeux et le mien beaucoup trop hasardeux pour son âme de cartésien.
Que celui ou celle qui n’est jamais passé par là
me jette la première pierre !
Puis il se passa deux ans…
Deux ans à se dire que la vie était ailleurs…
A alterner les sorties entre deux ego :
celui d’Ali qui passait de lits en lits…
Celui de Jean-Marc, qui claquait en une soirée
un mois de paye pour jouer les grands seigneurs…
Et moi, pauvre de moi, qui m’apitoyait maladroitement sur une vie affective où je n’étais que l’objet du désir d’un soir…
Et pourtant, qu’elle était belle cette femme
que pudiquement on disait « mûre ».
Dans son regard,
chaque trahison sentimentale y était ridée !!!
Plus facile à voir que dans mon cœur.
Ce fut une belle histoire, mais si courte…
Ha merde, cette barrière du temps, les enfants d’une aimée qui dépasse ton âge, il faut bien en prendre compte, mais quelle galère, quelle souffrance, quand il faut se raccrocher à l’implacable réalité, car le monde n’est pas Hollywood, il est désespérément rationnel, comme dans cette belle chanson de Serge Réggiani, chantée par Isabelle Boulay :
C’est là que l’ à-propos d’une Maman
qui ne pose pas trop de questions
est ce trésor qui fait toute la différence,
quand elle sèche tes larmes,
sur cette peau qu’elle caresse
avec toujours autant amour,
geste qu’elle fait depuis ta naissance…
Ce 8 juillet 1982, je poussai la porte du bar de « Dédée ».
Elle ayait fait le rapprochement entre le nom de jeune fille de Maman, Médecin Conseil à La Sécurité Sociale, qui avait traité le dossier d’une de ces employées et le mien, celui de mon paternel, avec lequel les ponts étaient coupés depuis six ans…
Déjà ?
Dédé :
« Dis-donc, tu te fais rare ces derniers temps… »
Moi :
« Tu te languissais ? »
Dédée, le regard tendre :
« Et quand bien même ? »
Mon Dieu, elle n’avait rien perdu de son charme, la bougresse.
Elle le savait et elle en usait !
J’en vins au motif de ma visite :
« Alors, puis-je être éclairé sur le sujet de cette « convocation au sommet » ?
Ton Jean-Marc a encore laissé une ardoise là où il ne faut pas ou fait une de ces conneries dont il a le secret ? »
Dédée :
« Ce n’est plus « mon » Jean-Marc depuis un moment, tu le saurais si tu n’avais pas fait, dans mon bar, l’école buissonnière… »
Moi, essayant de donner le change :
« Excuse-moi d’avoir une vie privée ! »
Elle, moqueuse :
« Ouais, j’ai su ça, et avec une de mes copines d’enfance, en plus ! »
Moi :
« Dis-donc, c’est pas encore Noël, ne me dis pas que tu as décidé de marcher au béguin pour mézigues ! »
Elle :
« Fais le fier mon beau merle, ça marche avec le chaland, pas avec moi,
même avec Audiard comme mentor…
La « Lulu », elle est ce qu’elle est, mais ça l’a chavirée, tu sais ?
Ce qui l’a le plus troublée, c’est quand elle a réalisé que dans ses bras, tu pensais inconsciemment à une autre. Comme ils disent dans « Cosmopolitan » (magasine féminin apparu en France en 1973), c’est ce qu’on appelle un transfert. »
Moi, essayant de camoufler une larme :
« On vous définit comme le sexe faible, alors je te dis pas ce que ce serait si on vous disait fortes, car j’ai dérouillé dans cette histoire… »
Elle, me prenant la main :
« Les femmes ont toujours été plus fortes, mais il est nécessaire que les mâles croient le contraire, sinon, je n’ai plus qu’à pointer au chômage.
Toi, mon petit, tu es différent. »
Moi, la voix tremblante, presque imperceptible :
« Je sais, tu me l’ai déjà dit. »
Elle :
« J’aime bien quand tu es là, près de moi,
et je sais depuis le début que je ne te laisse pas indifférente…
Prétends le contraire !!! »
J’allais pour lui répondre, de plus en plus troublé, un de ces lieux communs dont j’avais le secret, ouvrant une bouche que
je ne pus jamais en la demeure,
et loin de m’en plaindre,
refermer dans ce cas précis.
La salle « privée » porta parfaitement son nom cette soirée-là.
Nous savions l’un et l’autre que cette relation était sans lendemains, je commençais à en avoir l’habitude…
Entre deux coupes de champagne et quelques toasts aux crevettes fournis par les filles complices, dans la simplicité de nos corps uniquement revêtus d’un drap, caressant les épaules dénudées et le dos de mon amante d’un soir, celle qui avait de loin dépassé toutes les promesses de mes fantasmes, je réintégrais doucement, mais encore groggy, le monde pragmatique des vivants, et « recollais » à ce dossier désespérant intitulé « Jean-Marc » :
« Alors, Jean-Marc : dis-moi… »
Elle :
« Cette fois-ci, il a vraiment dépassé les bornes. Son jeune frère, je ne sais pas ce qui lui a pris, a foncé avec sa voiture contre le portail du « Sicilien », le patron du « Bar des vierges ». Rosco (le patron) était au « Vénéré » (night-club non loin de là), heureusement, sinon ce fondu aurait sorti son canon scié chargé de chevrotine à sanglier ! »
Moi :
« Putain, c’est pas possible, et tel que je connais le Jean-Marc, il a fait croire que c’était lui pour protéger cet espèce de branleur, son frangin de mes deux !!! »
Elle :
« Je voulais te prévenir, car avec ton copain Ali, vous êtes les seuls à connaître assez de monde pour lui éviter le pire… »
Moi :
« Pfff… Il a tellement tiré sur les ficelles que même nous, on en a marre de ses conneries, et surtout de celles de son clone !
Heu… Ôte-moi d’un doute, c’est uniquement pour lui que tu m’as téléphoné ce soir ? »
Elle, avec ce regard
qui fit briller tant de pantalons :
« Devine… »
Moi, complètement envouté :
« Cet instant, je l’avais tellement rêvé.
Tu as enchaîné mon cœur dès le premier regard,
depuis, je suis ton prisonnier… »
Elle :
« Ne dis pas de bêtises, j’ai déjà plus de cinquante ans, dans dix ans j’en aurai plus de soixante quand tu n’en auras qu’à peine trente-cinq ! Et le temps, cet assassin, fera son œuvre, tu te laceras de moi, même quand j’essaierai de cacher mes rides et mes varices. C’est la loi implacable de la nature, contre laquelle on ne peut rien, pas même avec toute ta tendresse qui ne pèsera jamais assez lourd, tel un grain de sable s’opposant à toutes les plages de ce monde. Et moi, quel sera mon poids face à cette petite jeune qui viendra réveiller en toi cette flamme que je ne pourrai plus te donner ?!?
Ce qui se passe ce soir, ce n’est pas un cadeau que je te fais, c’est toi qui me l’offre, mon chéri !!! »
Moi :
« Et après, je tourne les talons comme si rien ne s’était passé ?
Hum…
J’ai vraiment pas de chance… »
Au seuil de sa porte, un dernier baiser fut échangé, conclu par cette phrase de la belle Dédée :
« Pars… Pars mon amour, avant que je ne t’entraîne dans les abysses de mes désespoirs !!!
Quand tu repenseras à notre histoire, j’espère qu’un jour tu auras conscience qu’il faut beaucoup de courage pour renoncer à l’instant présent, et permettre ainsi à l’être aimé de vivre ce que tu estimes le mieux pour lui…
Pour moi, c’est ça l’amour, pas ce qu’un rapport bêtement corporel peut rapporter au tiroir-caisse ! »
Moi, complètement désarmé :
« Je t’aime !!! »
Elle, les yeux humides :
« Ta gueule !!!
T’as du pain sur la planche, ne te mets pas en retard, mon tendre idiot… »
Et la porte se ferma, sur une nouvelle blessure…
Puis j’étais là, et « las » (hum : hélas!), errant dans ces rues désertes d’Angers, qui faisaient écho aux commentaires des familles depuis les fenêtres, où chacun s’était improvisé journaliste sportif.
Ça chauffait à Séville, particulièrement
quand cet enfoiré de Schumacher
commit un acte d’agression caractérisée
à l’encontre de Battiston depuis ses buts,
crampons en avant, hanche à l’appui !!!
Je devais voir les images plus tard, mais
elles ne furent pas plus expressives que
les cris protestataires aboutissant dans les rues.
C’était un acte de guerre, et les réflexes xénophobes de jadis n’en furent que ravivés. D’autant que la stratégie teutonne, si elle était légale, n’était pas très fair-play : ils n’avaient fait rentrer leurs meilleurs attaquants qu’à la fin du match…
On connaît hélas le résultat :
3-3 avant les tirs au but,
5-4 pour l’Allemagne ensuite…
Et même pas de carton rouge pour le gardien !!!
Je suivais l’épilogue dramatique au « Vénéré », où Armando, videur portugais, m’avait ouvert quelques minutes plus tôt, ponctuant son accueil par cette phrase :
« Dis-donc ma vieille, Rosco sort d’ici, il n’avait pas sa tête des bons jours, particulièrement depuis que Jean-Marc s’est mis en devoir de s’occuper de la réfection de sa porte d’entrée ! Si tu veux mon avis, ferait bien d’se mettre au vert le temps de laisser passer l’orage, « l’apache », parce que le corse, ça a la gâchette sensible et la diplomatie réfractaire… »
Moi :
« Justement, j’étais venu lui parler du motif… »
Armando, me tendant un mouchoir :
« Tu peux tenter ta chance, mais si tu le croises, faudrait plutôt jouer dans le registre des hommes, car je n’ai pas entendu dire
qu’il recrutait dernièrement chez Michou !
Moi :
« Ho, tu me charries ou c’est un tique ? »
Armando :
« Cool, ma poule, tu vois comme t’es ?
Tu m’engueules alors que j’ai souci de soigner ta réputation ! »
Moi :
« Tu peux sous-titrer, mec ?
Et magne-toi, j’ai pas toute la nuit… »
Lui :
« Pour ce qu’il en reste !
A toutes fins utiles, j’te préfère sans rouge à lèvres. Point de vue crédibilité, tu y gagnerais, mon petit lapin bleu… »
Moi, prenant enfin son mouchoir et m’essuyant les zones incriminées :
« Tu pouvais pas me le dire plus tôt, tranche de nave ?!? »
Armando :
« Excuse-moi de te demander pardon, mais j’ai une urgence, un match « chaud-bouillant » sur le feu ! »
C’est ainsi que j’assistai à notre défaite, via la radio posée sur le bar, autour de laquelle plusieurs clients nocturnes étaient en parfaite communion.
En boxe, il fallait compter « 10 » pour être K.O.
L’arbitre n’a compté que « cinq »…
Plus tard, cette défaite se transformera en victoire…
Jean-Marc n’était pas chez-lui, et mes yeux commençaient à se fermer.
Je ne sais pas si le corse, avec ses comparses, avait sorti son artillerie, mais il était déjà bien tard. Je rentrai donc à la maison, où Maman m’avait attendue avant de ce coucher, rassurée de me voie rentrer en un seul morceau.
Elle détestait mes escalades nocturnes, ce qui était légitime. Elle avait déjà perdu une fille et n’aurait jamais survécu à la perte de son seul fils…
En février 1980, à Nouméa, ce n’était pas passé loin, quand effectuant mes obligations militaires, ce « putain de camion-citerne » m’avait heurté de plein fouet alors que j’étais de garde ! Quarante-huit heures avant de savoir si j’allais pouvoir continuer à faire chier ce monde qui me le rendait bien, ce fut long pour les cadres qui m’avaient sous leur responsabilité.
Je leur fis la grâce de vivre encore…
Tiens ? Nous avions passé depuis deux bonnes heures le cap du 9 juillet 1982 !
Un bon dodo, je sauverai le monde, surtout certains de ses parasites, quand je me serai reposé et surtout remis de mes émotions…
Il ne passa rien ensuite, car Rosco n’était pas Frank Nitti, mais un maquereau de bas étage, une grande gueule sans rien derrière, un « gagne-petit » comme on dit chez les branques, et son arme n’était qu’une pétoire à grenaille : la gloire, quoi !!!
En avril 1983, « je me rangeais des bécanes, comme on disait dans le milieu, me risquant dans le bizarre : une vie de couple avec une femme divorcée et deux enfants…
Un divorce, un cancer et un licenciement plus tard, j’étais là, dans cette salle d’attente, présentant gentiment ma convoc au guichet.
Moi, ma question existentielle était celle-ci :
« L’important est-il d’être bien portant
ou de cesser d’être malade,
comme l’affirmait Sacha Guitry ? »
Qui sait ?
Je regarde alentours, ho quel bonheur : pas d’acariâtre aujourd’hui !
Tiens, ma petite réceptionniste chérie n’est pas là.
Hum ! Elle doit profiter d’un week-end prolongé en famille.
Mais suis-je bête, nous sommes en juillet !!!
Ma féline est partie avec son félin
et le résultat de leurs amours…
Son travail n’est pas évident. Accueillir autant de détresses chaque jour en gardant son humanité, botter en touche quand l’agressivité n’est plus que le dernier rempart du malade et (ou) de sa famille, gérer l’administratif en corrélation avec l’affectif, on ne peut qu’être admiratif devant autant d’abnégation !
Son repos est bien mérité…
Malgré les hormones réservées aux femmes
que Chimiothérapix m’injecte depuis 2007
(petit canaillou !)
et cette théorie d’un drôle de genre qui consiste à faire croire à la marmaille que la vie affective, c’est qu’un mec prenne Cupidon à l’envers affublé d’une jupe,
n’en déplaise à la Mère Christiane,
j’avais beau être patient, je n’en restais pas moins homme (enfin, le modèle classique)…
Il n’était donc pas étonnant que je sois déconcentré en ce jour de chaleur d’été, par l’attitude délicieusement charnelle de cette créature qui ( le faisait-elle exprès?) offrait généreusement
une bien belle perspective !
La belle me pose les questions administratives de rigueur.
Ai-je changé d’adresse ?
« Et non, car je me sens bien où je suis. »
Elle :
« Ha ? Mais si vous gagnez au loto, vous pouvez changer d’avis… »
Moi :
(j’ai cette tête-là en ce moment)
« Avoir une vue imprenable sur un océan de l’Hémisphère Sud, je n’ai rien contre, mais… »
Elle :
« Mais ?!? »
Moi, soupirant :
« Il est important de prendre suffisamment de hauteur, ne serait-ce que par sécurité, car si riche que l’on soit, le tsunami en la demeure ne fait pas de distinguo quand la Grande Faucheuse se découvre une petite faim ! »
Elle, amusée :
« Des tsunamis, on ne peut dire qu’il y en ait beaucoup par chez nous… »
Moi :
« Oui, mais là-bas, avec le réchauffement climatique et ce qui s’est passé au Japon, où la consommation de sushi a transformé l’autochtone en diode électroluminescente… C’est très pratique la nuit (convenons-en) quant on n’a pas de lampe de poche sous la main, mais le procédé demeurant écologiquement contestable, vous comprendrez que je sois en clin à prendre quelques petites précautions. »
Elle :
« C’est vrai qu’ils n’ont pas eu de chance ! »
Moi :
« Bienvenue au club… »
Elle me tend la feuille où est indiqué mon numéro de chambre ainsi que le prochain rendez-vous, je laisse la place à cette femme qui attend derrière moi. Elle ne doit pas être loin des 85 ans.
L’âge actuel qu’aurait « Dédée »…
Qu’est-elle devenue ?
Dans le long couloir blanc où les infirmières me disent bonjour chaleureusement, je marche timidement, troublé par tous ces souvenirs… Troublé par ce que j’aurais pu être… Par le destin, et cette sensation coupable
que ma plus belle histoire d’amour,
Ce fut elle…
A suivre…