( 15 décembre, 2011 )

Ninties : « Puisqu’il fallait bien continuer… » (34ème partie)

« Les anges maudits, les comptables et le père prodigue…« 

Chapitre 32 :

Ninties :

l’amour plus fort que tout ?… (12/12)

 dans Et mes souvenirs deviennent ce que les anciens en font.

« Retour à Paris« 

http://www.youtube.com/watch?v=4E6sEetFfg0

 

 dans Saga familiale

 

Ils étaient descendus du train sous une averse, dont Barnabé se plaisait à dire que seule la métropole pouvait en produire d’aussi froides.

 

Isabelle, portant sa valise un peu lourde :

« Car aux Antilles, la pluie vous est inconnue, bien-sûr ! »

 

Barnabé, souriant :

« Ne te fâche pas ma belle ! Nous en avons, évidemment, et de bien plus torrides encore, mais jamais de si glaciales…

Donnes moi donc ton fardeau : tu fais peine à porter cette valise si empreinte de tes souvenirs « ma petite Cosette ». La mienne est beaucoup plus légère et n’a pas eu le temps de s’en alourdir. »

 

Isabelle, l’oeil malicieux :

« Ô mon Jean Valjean, mon sauveur, tu m’a reconnue alors que je n’ai pas de seau ? »

http://www.youtube.com/watch?v=cd_CoDYxznI&feature=related

Sauveur ? Jean Valjean ?!?

René, son beau-père, si imparfait qu’il soit, n’était tout de même pas un Thénardier !

De même que lui, Barnabé, n’était pas ce bon « Monsieur Madeleine » sauvant une orpheline des griffes d’odieux personnages cupides…

« Sauveur », il l’était sans aucun doute… Mais plus dans la peau de « Marius », ce prétendant si maladroit sauvé par Jean Valjean (son futur beau-père), poursuivi par un homme de loi à l’esprit aussi glacial et inflexible que les règles qui régissaient sa fonction.

Mais tout cela n’était que de la littérature, et le beau-père qui avait sauvé Marius dans les Misérables n’était en aucune mesure comparable au sien, que seul un rêve avait humanisé…

Quelques heures avant, René avait pris une sorte de revanche en entraînant Barnabé dans la communauté que sa soeur Geneviève devait réintégrer. Il avait pris soin de la placer juste à côté de lui, séparant les deux tourtereaux à l’arrière de la traction avant de Gaston, l’ami fidèle trop content d’assurer sa fonction de chauffeur.

Sur la route qui menait le nouveau couple à la gare de Caen et Geneviève à son quotidien, Cette dernière s’était risqué à une question qu’elle adressa à Barnabé :

« Que mon frère soit anticlérical, lorsque l’on connaît son parcours, cela n’a rien pour m’étonner… Mais vous, Barnabé, issu d’une famille catholique dont on m’a dit que beaucoup sont de fervents pratiquants : pouvez-vous m’expliquer votre opposition à Dieu ? »

Barnabé :

« Opposition à Dieu, le terme est un peu vif…

Opposion aux hommes qui s’en réclament serait l’expression la plus appropriée. »

 

 Tante Geneviève :

« Et que leur reprochez-vous au juste ? »

 

Barnabé :

« D’entretenir la peur chez nos sujets les plus vulnérables pour mieux les asservir…

Pour tout vous dire, je n’ai jamais cru qu’un être suprême à la barbe blanche avait créé l’homme, par contre, il fut aisé à nos congénères les plus anciens d’inventer Dieu ! »

 

Soeur Geneviève :

« Ha ! Croyez-vous ?!? »

 

Barnabé :

« C’est l’évidence même ! L’homme a toujours voulu se rassurer en ce cachant derrière une autorité qui lui permet de ne pas avoir à prendre de responsabilités…

C’est tellement plus commode ! »

 

Isabelle, embarrassée :

« Heu… Tiens : voilà le couvent. »

 

Soeur Geneviève :

« Vous n’avez pas réellement répondu à ma question… »

 

Barnabé, un peu nostalgique :

« Les voix de Dieu, qui nous a fait dit-on à son image, sont impénétrables !

Permettez à un pauvre mortel de lui ressembler sur ce sujet, en respectant ce qu’il me reste de part de mystère… »

 

Gaston, le sourire jusqu’aux oreilles :

« C’est ce qui s’appelle « botter en touche » ou je ne m’y connais pas, gamin !!! »

 

René à Barnabé, grimaçant légèrtement :

« Vous n’avez jamais songé à faire de la politique ?

Vous avez déjà le vocabulaire adéquat… »

 

Barnabé, avec le même air « aimable »

« Dois-je considérer cela comme un compliment ?… »

 

Mon Grand-Père répondit par le silence.

Barnabé, en homme du monde, se mit en devoir de porter la valise de Tante Geneviève, et fut présenté à différences soeurs, qui tombèrent sous le charme de mon incorrigible orateur de Père.

Au sein du couvent où il se sentait en « terres ennemies », il se remémorait une chanson diffusée par la TSF du petit bistrot parisien, où il aimait prendre son petit déjeuner avant de se rendre à la fac de médecine, celle de « Bridaine », le sympathique abbé des « Mousquetaires au couvent »…

http://www.youtube.com/watch?v=aTnJNcauaus

De tels ecclésiastiques existent-ils aujourd’hui ?

Peut-être…

Père Duval (1918-1984),

dont on reparlera plus tard.

Il est des hommes comme ça, que même le plus anticlérical des êtres ne peut qu’avoir en sympathie, tout en leur laissant leur chemin de croix !

 

René, complètement outré, à Gaston :

« Non mais, regarde-moi ça !

L’église n’est plus ce qu’elle était, moi je te le dit…

Elles sont toutes en train de lui manger dans la main : il va finir par me les débaucher, tu vas voir !!! »

 

Gaston, se retenant de rire :

« Qu’intièt’ donc point mon René, quand la tôlière va pointer son nez, tu vas voir comment elle va me r’cadrer tout ça ! »

 

Effectivement, l’arrivée de la Mère Supérieure dispersa le groupe tel un missile qui venait d’exploser.

Soeur Marie Geneviève des Anges donna congé à toute la petite famille avant de réintégrer sa cellule qui, selon les conceptions de mon « concepteur » portait bien son nom…

 

Barnabé entrant à son tour à l’arrière de la traction de Gaston :

« Alors là, mes bien chers frères et soeurs, je viens d’avoir la définition du mot « remède » ! Et assurément, cette Mère Marie… Machin de je ne sais pas quoi, c’en est un sévère !

Avec de tels engins, je comprends mieux pourquoi les curés font aussi facilement voeux de chasteté !!! »

 

Isabelle, fronçant les sourcils :

« C’est fini, oui ?!? »

 

Après avoir déposé les amoureux à la gare de Caen, Gaston ne redémarra pas tout de suite son véhicule, observant son copain René qui restait prostré, le regard dans le vague.

Alors que la pluie martelait le toit et le pare-brise de la traction, René lâcha enfin une parole entre deux soupirs :

« Cette fois-ci, nous l’avons définitivement perdue… »

 

Gaston, la gorge serrée:

« Qu’ek’tu m’raconte comme connerie !!!

Tu trouves pas qu’y'a assez d’buée sur heu l’pare-brise ?!?

V’la-t’y pas qu’y'en a sur mes mirettes à c’heure… »

 

René fut aussi touché que surpris de voir couler  des larmes sur le visage buriné de son vieil ami. Bon sang, c’est pourtant vrai qu’il était encore plus triste que lui !

Pour le consoler et se persuader lui-même que cette page tournée, ce train qui avait disparu dans la fumée de cette maudite locomotive n’était pas la fin de tout, il lui dit :

« Dis, ho ! C’est pas un enterrement !!!

Un jour, elle va bien nous faire des marmots la petite, et je te fiche mon billet que ces petits chenapans, ils vont nous mettre un sacré bazar à la maison… »

Gaston, retrouvant un peu de joie et d’espoir :

« Pour les garder, j’laisse pas passer mon tour, mon coquin !!!

Tu crois que y’en aurait un pour me casser cet affreux vase de chine que la Tante Marthe nous avait offert à Aphonsine et à moi pour nos dix ans de mariage ?

J’ai jamais pu men débarrasser de c’horreur ! »

 

René, faisant mine d’oublier sa peine :

« Hi-hi ! C’est pourtant vrai qu’il est fadé ce vase… Je n’ai jamais rien vu de plus moche dans le genre !!!

Dis-moi vieux gars : si on songeait à un repli stratégique avant qu’on ait à sortir les pagaies ? »

 

Ils retournèrent donc à Tigreville où leur quotidien repris sa place…

 

http://www.youtube.com/watch?v=pzK9S-HOTNs

Dans cette mansarde qui était leur nid d’amour, Barnabé avait allumé le poêle pour lutter contre le froid hivernal et l’humidité qui avaient glacés jusqu’aux os de la tendre Isabelle.

Dormir enfin dans les bras de son aimée était sa récompense, pour avoir été aussi patient. Isabelle avait posé sa tête sur son épaule qui en était un peu endolorie, mais il n’osait pas bouger de peur de réveiller sa « belle au bois dormant »…

Avant de glisser doucement dans le pays mytérieux des songes, elle lui avait dit d’une voix douce :

« Tu me diras un jour quel est ton secret ? »

 

Barnabé :

« Quel secret ?!? »

 

Isabelle :

« Celui qui t’as rendu anticlérical… »

 

Barnabé, presque suppliant :

« Ha non, tu ne vas pas t’y mettre aussi, ma doudou (Chérie en créole) !!! »

 

Isabelle, complètement épuisée, marmona une phrase incompréhensible avant de s’abandonner dans les bras de Morphée.

Mais qu’avaient-elles donc, la tante et la nièce, à vouloir déterrer cette histoire de son passé qu’il ne souhaitait pas dévoiler ?!?

Il le dirait sûrement un jour à la femme de sa vie, mais un autre jour… Bien plus tard…

 

A suivre…

( 26 octobre, 2011 )

Nineties : « Puisqu’il fallait bien continuer… » (33ème partie)

« Les anges maudits, les comptables et le père prodigue…« 

Chapitre 31 :

Nineties :

L’amour plus fort que tout ?… (11/12)

 dans Et mes souvenirs deviennent ce que les anciens en font.

« Les songes de Barnabé« 

 

 

 dans Saga familiale

 

http://www.youtube.com/watch?v=U3URSsI_rfs

 

…L’ombre, habillée comme un moine, ne répondit que par un geste de la main, invitant mon Père à le suivre.

D’après la morphologie, il ne pouvait s’agir d’Isabelle.

Tout courageux qu’il était, notre brave Barnabé commençait à avoir le trac, car Gaston lui avait raconté que l’église de Tigreville aurait été victime d’un sortilège au XIXème siècle, et qu’on y observerait encore des fantômes certaines nuits…

Barnabé, soupçonneux :

« Gaston, espèce de petit farceur : je vous ai reconnu !!! »

 

Mais l’ombre, imperturbable, ne répondait pas et continuait à descendre les escaliers jusqu’à la cave, tenant cette lampe à pétrole à l’éclairage surnaturel.

 

Barnabé, suivant le mouvement :

« Écoutez, mon vieux :

qui que vous soyez,

quoi que vous soyez,

je vous rappelle, au cas où vous seriez égaré, que votre église hantée est à quelques centaines de mètres d’ici, à l’intérieur du village…

Tout le monde a l’air d’oublier ici que moi, simple mortel, j’aimerais bien pouvoir enfin entamer ma nuit au lieu de faire du spiritisme !!! »

L’ombre éteignit sa lampe et alluma la lumière de la cave qui aveugla Barnabé.

Elle l’invita à fermer la porte, dont le grincement était assez impressionnant.

 

Barnabé, faussement décontracté :

« Ha, dites moi, « vieux » : faudra songer à mettre de l’huile là dessus !

Remarquez, tant que ce ne sont pas vos articulations…

Mais je ne voudrais pas vous vexer et vous faire sortir de vos gonds !!! »

 

Il entama un rire qui était plus nerveux qu’autrechose.

 

Tombant la capuche, la créature laissa enfin apparaître son visage…

Celui de René !!!

 

Barnabé, stupéfait :

« Mais enfin, Cher Beau-Père :

pouvez-vous m’expliquer ce que veulent dire ce déguisement et cette macabre mise en scène ?!?… »

 

René, souriant à son tour :

« Ceci n’est pas un déguisement : c’est une pèlerine oubliée par les allemands dans mon potager en 1944, bien utile les jours de pluie comme aujourd’hui…

Mais ?!?

M’auriez-vous pris pour un fantôme, vous, l’éternel cartésien comme aimez à vous définir vous-même ?!? »

 

Barnabé :

« A presque trois heures du matin, je ne suis ni cartésien, ni scientifique…

Je ne suis plus qu’un homme fatigué qui ne rêve que d’une chose :

dormir !!!

Alors : allez-vous enfin me « narrer » ?… »

 

René :

« J’ai tenu à vous voir en toute discrétion à l’écart de tous témoins, afin que nous ayons une conversation qui devra rester, je ne vous le cache pas, confidentielle ! »

 

Barnabé, en bayant :

« Vous ne pouviez pas mieux tomber :

à cette heure-ci,

je suis parfaitement réceptif ! »

 

René, après un soupir :

« Vous ne m’appréciez pas beaucoup et vous savez que c’est réciproque… »

 

Barnabé :

« Elle commence bien, cette conversation nocturne !

Vous m’excuserez mais j’ai oublié mes gants blancs, je ne peux donc décemment pas vous provoquer en duel « sur le pré au petit matin », cher Beau-Papa :

question de protocole et de principe.

De plus,  la perspective de faire de mon épouse une veuve ou une orpheline risquerait de faire jaser dans le canton : ne croyez-vous pas ?!?

On a vu des familles bisées pour moins que ça, ce serait dommage, vu ce qu’il reste de la vôtre ! »

 

René, essayant de dissimuler son agacement :

« Cinq minutes de sérieux : c’est trop vous demander ?!?

Nous pouvons jouer la comédie à nos proches, mais à nous-mêmes : nous savons tous les deux que c’est impossible ! »

 

Barnabé :

« Il semblerait que nous soyons au moins d’accord sur une chose, cette franchise vous honore…

Et comment envisagez-vous la suite des évènements ? »

 

René :

« Isabelle vous ayant choisi comme (il se pince les lèvres) l’homme de sa vie… »

 

Barnabé, ironisant :

« Excusez-moi encore de vous en demander « pardon » ! »

 

René, franchement irrité :

« Écoutez, c’est déjà pas facile, alors laissez-moi terminer au moins une phrase !!!

Vous allez devenir mon gendre et quoi que je puisse penser de cette union, m’y opposer serait me condamner irrémédiablement à ne plus revoir ma fille unique.

Et je ne vous dis pas toutes ces belles soirées d’hiver où nous risquons, sa Mère et moi, de ne plus nous regarder qu’en chien de faïence… »

Puis, le regard dans le vague :

« Quoi qu’en pense Isabelle, ne n’ai toujours souhaité que son bonheur, mais il faut croire que dans ma famille, ce concept nous soit hélas interdit ! »

Barnabé, soudain très sérieux et 

 

prenant la posture d’un thérapeute :

« Hum-hum…

Pourquoi dites-vous cela ? »

 

René :

« Ma vie a très mal commencée…

Je n’avais encore que sept ans quand j’ai vu ma Mère sur son lit de mort.

Terrassé par la douleur, j’en ai beaucoup voulu à mon Père que je tenais pour seul responsable de sa disparition prématurée ! »

 

Barnabé :

« Seul responsable ?

Vous pensiez donc qu’il l’avait en quelque sorte assassiné ?!? »

 

René :

« Ho ! Pas directement, mais…

Vous savez : les enfants, s’ils ne savent pas les choses, ils les ressentent.

N’est-ce pas ce qu’on appelle l’instinct ? »

René observa un petit temps de silence, pensant que Barnabé allait ajouter un commentaire, avant de reprendre ce récit qui semblait captiver ce dernier :

« Je ne connaissais pas encore la nature de l’acte irréparable qu’avait commis ma Mère à l’époque, mais je savais que ce qui l’avait motivé était une absence totale de bonheur.

A bien y réfléchir : comment aurait-elle pu être heureuse, d’ailleurs, en cette époque où conjuguer « amour » et « mariage » étaient considérés comme une hérésie, dans une société bien-pensante, pour ne pas dire « formatée » ? »

Barnabé :

« Formatée ?!? »

 

René :

« Absolument !!!

Écoutez :

On a fait croire à des générations de « femmes à marier » que l’amour se construisait avec le temps au gré de « mariages de raisons », scellés au bas de contrats qui ne remplissaient de joie que les parents ayant enfin trouvé pour leurs filles  »le bon parti »…

On dit que les enfants sont le fruit de l’amour ?

Foutaise !!!

Dans les romans, oui : ça ne fait aucun doute…

Mais dans le monde fermé dont je suis issu, un nouveau-né n’a pas plus de valeur que les titres en bourse, l’usine ou la compagnie qu’on le destine à gérer un jour !

A peine a-t-il poussé son premier cri qu’on commence déjà à tracer son parcours sur le quel il n’aura strictement rien à dire, du moins jusqu’à sa majorité…

Ma pauvre Maman n’avait que seize ans quand elle fut donnée en pâture à un homme qui en avait déjà vingt-huit, mais belle allure et portefeuille rempli.

Elle faisait partie de « la branche Suisse Protestante » de la famille, ne connaissant de la vie que ce qui était écrit dans les livres de La Comtesse de Ségur.

Je n’ai jamais compris comment une famille protestante pratiquante avait pu donner une de ces filles à un catholique !

Probablement encore une histoire d’intérêts, d’argent, de situation ?

En tout cas, quelque-chose qui n’avait rien de noble ni de romantique…

Le fait qu’elle me donna le jour en 1900, soit huit ans après les noces,  fut pour moi la certitude qu’elle avait tout fait pour retarder une naissance qu’elle ne souhaitait pas…

L’honneur était sauf : Charles, mon paternel, avait enfin fait son « devoir de mâle reproducteur », donnant ainsi un héritier à deux familles afin de pérenniser l’espèce : celle des rentiers !!!

Oisif dans l’âme, Monsieur passait la plupart de ses soirées dans les salons où il continuait à jouer les dandy, accompagné de son frère, plus jeune que lui et toujours célibataire.

Les deux se gardaient bien de dire d’où venait la fortune qui assurait leur train de vie, comme si le fait d’avoir eu un grand-père « marchand de bain » était une honte.

En effet, cet aïeul dont j’ignore hélas le prénom, né aux alentours de 1815, avait tellement gagné d’argent à la sueur de son front, qu’il put entretenir deux générations de fénéants à titre posthume, dont « mon cher papa » qui ne se gêna point pour dilapider ce qui aurait dû être mon héritage !!!

Ludivine, quoi qu’ayant subi ma naissance, fut une bonne Maman attentive et aimante. Je n’eus jamais à m’en plaindre.

Je me souviens de ses beaux cheveux roux qu’elle coiffait avec raffinement, mais aussi de ce regard triste…

Si triste !

Je n’avais plus aucun doute : elle vivait la plus terrible des solitudes, celle que l’on supporte à deux, chaque longue journée avec un être trop différent.

Sa seule évasion :

Telle une exilée, elle entretenait une correspondance de plus en plus dense où elle faisait part de ses états d’âme avec sa famille tant regrettée de Suisse.

Un jour, des cousines débarquèrent au grand dam de Charles, qui voyait là une menace : l’occasion pour Ludivine, son épouse jusqu’alors effacée et soumise, de s’émanciper…

Ses craintes se concrétisèrent.

Ludivine se fit de plus en plus coquette et se coupa les cheveux à « la garçonne », tandis que Charles, qui avait dépassé les quarante ans, reflétait l’image d’un dandy de plus en plus fatigué, pour ne pas dire pathétique.

Lorsqu’il tenta d’exiger de son épouse un peu plus de discrétion dans ses sorties et ses tenues, elle lui envoya ses quatre vérités au visage.

Je me souviens de cette scène entendue de ma chambre alors que je venais tout juste d’avoir sept ans, le même âge que le siècle. Les cousines avaient trouvé refuge chez une de leurs tantes qui habitait Paris, mises à la porte par Charles le jour même.

 

Ludivine, outré :

« Il faut bien se rendre à l’évidence, nous n’avons décidément plus rien en commun, à supposer que cela exista un jour !

Votre acte inqualifiable m’en donne une triste confirmation…

En chassant ma famille de notre foyer, vous avez sonné le glas de notre union !!! »

 

Charles, rouge de colère :

« Je suis maître après Dieu dans ce que vous appelez « notre » foyer !

Oubliez-vous que vous me devez obéissance ?!?

Regardez votre tenue, vos attitudes : sont-ce là les apanages d’une femme respectable qui sied à un homme de ma condition ?!? »

 

Ludivine :

« Laissez-donc Dieu où il est et n’ajoutons pas une guerre de religion, qui serait préjudiciable à nos deux familles, dans ce qui nous oppose !

Vous êtes prompt à invoquer ma responsabilité, mais où est la vôtre, mon pauvre ami ? »

 

Charles :

« Plaît-il ?!? »

 

Ludivine :

« Êtes-vous assez naïf au point de croire que j’ignore tout de vos incartades, pour ne pas dire de vos frasques, dans certaines maisons

que l’on m’a dites pas si closes que cela ?

Paris est une grande ville, mais le monde y est si petit qu’un secret ne saurait y survivre.

Ses murs ont des oreilles qui résonnent jusque dans « votre » foyer, je n’ai donc que faire de vos leçons de morale… »

 

René, le visage crispé :

« Mon  »géniteur », perdant la tête et blessé dans son orgueil, essaya de prouver à son épouse qu’il était toujours son mari… Mais le « maître après Dieu », en cet acte minable, venait de perdre toute crédibilité, en ne prenant Maman que pour un « ventre » !!! »

 

Barnabé, interloqué :

« Non ! Vous ne voulez pas dire que… »

 

René :

« Si : vous avez très bien compris !

Je peux vous dire que le bonhomme faisait beaucoup moins le fier lorsque, le lendemain, il croisa mon regard reflétant toute la haine que j’avais pour lui !!!

Il tenta quelques excuses, mais Maman avait pris sa décision, quittant ce foyer désormais maudit.

Elle m’avait emmené dans ses bagages chez la tante de Paris, rejoignant les cousines « libératrices ».

J’étais choyé par le clan « protestant-suisse » que je bénissais pour apporter à Maman cette joie de vivre qui lui avait tant manqué jusqu’à présent.

Ceci ne devait durer hélas que très peu de temps…

En effet, Ludivine présenta quelques symptômes qui ne lui laissèrent plus aucun doute : elle allait, huit ans après moi, enfanter de nouveau !!! »

 

Barnabé :

« Au moment de la séparation : ça la fichait mal…

Charles était au courant ? »

 

René :

« Sûrement pas ! Il ne devait le savoir que plus tard…

La tante pris les affaires en main et décida d’aider Ludivine à commettre un acte tout à fait illégal :

l’avortement…

Ce n’est pas à vous, médecin en herbe, que je vais apprendre les dégâts occasionnés à l’époque par ces pratiques, exercées par des personnes aussi douteuses que leur hygiène !

 

Barnabé :

« Même aujourd’hui, en 1947, si vous saviez…

Il faudra qu’un jour une personnalité ait le courage politique de légaliser cet avortement qui fait tant de victimes dans ces salles obscures ! »

 

René :

« Il y a du chemin à parcourir encore, car j’imagine mal un homme sortir une telle loi…

Si un jour cela devait avoir lieu,

Simone Veil.

il n’y aurait qu’une femme, bénie soit-elle,

pour réaliser ce qui aurait pu sauver ma pauvre Maman et sortir cette humanité de son aspect le plus sordide, comme le fut la suite de l’histoire !!!

Alors que la santé de Ludivine déclinait, Charles avait plaidé sa cause auprès de son beau-père qui, lui-même, était opposé au divorce, par principe…

A ce titre, il demanda à Maman de faire un effort, au moins le temps d’aller mieux, ce qu’elle accepta.

Son lit fut sa dernière demeure et le début de ce chagrin qui devait ne plus jamais me quitter dès cette sombre année 1908 !!!

Puis tout se précipita, car Charles, apprenant le fin mot de l’histoire se servit de moi pour assouvir sa vengeance en me confiant à des jésuites pendant toute mon enfance, juste pour faire rager la branche « Protestante-Suisse » avec laquelle il se brouilla définitivement !!!

Il en a découlé pour moi un anticléricalisme épidermique et un profond dégoût de mon père qui, comble de l’ironie eut une fille dans le plus grand secret en 1910, chose que je n’ai apprise que lors de la lecture du testament…

Et il a fallut qu’elle soit bonne-soeur, en plus !!! »

 

Barnabé, plein de compassion :

« Ha mon pauvre vieux !!!

Heu, pardon…

Je comprends mieux certaines choses, maintenant… »

 

Tandis que quelqu’un frappa à la porte, Barnabé cru bon d’ajouter :

« Dites : ça va plus être une cave, mais une salle de conférence, si ça continue…

Entrez !!! »

 

La porte s’ouvrit, mais ce n’était pas celle de la cave…

 

Isabelle fit son apparition et dit :

« Bonjour mon chéri : il faudrait que tu songes à te réveiller si tu ne veux pas prendre ton petit-déjeuner à midi ! »

 

Barnabé était installé dans son lit et prit conscience qu’il n’avait fait que rêver la totalité de cet entretien…

Il ne fit qu’un seul commentaire :

« Ha ben : merde alors !!! »

 

A suivre…

( 10 octobre, 2011 )

Nineties : « Puisqu’il fallait bien continuer… » (32ème partie)

« Les anges maudits, les comptables et le père prodigue…« 

Chapitre 30 :

Nineties :

L’amour plus fort que tout ?… (10/12)

 dans Et mes souvenirs deviennent ce que les anciens en font.

« Boulevard des divergences« 

http://www.youtube.com/watch?v=Wy0VJvsYbfU

 

 

 dans Saga familiale

 

 

Il était plus de minuit, c’était le calme plat…

Oui, celui qui règne après les grandes batailles.

Car ce réveillon de Noël 47, contrairement à sa vocation première, était bien la guerre qui avait opposé le Beau-Père au futur Gendre…

La victoire revint sans conteste à Barnabé,

dont l’ego sur-dimensionné

au service d’un narcissisme qui ne l’était pas moins, en faisait un adversaire invincible, malgré son jeune âge.

 

Mais revenons bien avant le réveillon, quelques heures en arrière…

 

René avait pris Gaston à part :

« Ce petit con-là a tout pour lui : un gabarit de sportif, la cervelle, la culture et tout le toutim… Comme si c’était pas suffisant : toutes les femmes lui mangent dans la main, même ma bigote de soeur !!! »

 

Gaston :

« Mais ?…

Car il y a un « mais »,

pas vrai ?… »

 

René :

« Je ne le ressens pas ce mec…

Je ne l’aime pas !!! »

 

Gaston, l’oeil malin :

« Dis plutôt que c’est son côté franchement exotique qui t’indispose, mon ami… »

 

René, énervé :

« Dis, c’est tout ce que ça te fait qu’un noir nous enlève Isabelle ?!?

Et les enfants qui découleront inévitablement de cette union, tu y as pensé ?

Ils ne seront ni blancs ni noirs, donc rejetés par tout le monde !!! »

 

Gaston, le regard soudain grave :

« Tout le monde, c’est qui ?

Tous ces moutons qui nous ont traités de « rastaquouères » parcequ’on avait oublié d’être aussi cons qu’eux, qu’on avait refusé de rentrer dans leur rang ?!?

Tous ces lèche-culs qui ont chanté « Maréchal nous voilà » après avoir fait le salut à c’te charogne de caporal teuton de mes fesses en 40, parcequ’ils avaient les miquettes ?!?

Tous ceux qui n’ont pas eu honte de profiter de la situation et se sont enrichis sur les plus pauvres, en faisant du marché noir ?!?

Tous ces collabos qui ont su tourner leur veste au bon moment en criant »Vive de Gaulle !!! »

à la « vingt cinquième heure »,

ces mêmes qui n’ont pas honte aujourd’hui de présenter leurs faces de pets dans les commémorations ?!?

Ha oui, « Tout le Monde »…

Tu parles de ces « bons français » qui ont rédigé des lettres aussi baveuses qu’anonymes, envoyant des juifs, homme femmes et enfants, dans les fourneaux  ?!?

Je ne sais pas comment ils peuvent encore dormir la nuit, tous ces malfaisants, et pire : comment ils ont le courage de continuer à vivre après ce qu’ils ont fait !!!

Sont p’têt encore plus cons qu’moi pour y réfléchir, quand on y pense…

A croire que la connerie, c’est l’secret d’leur longétité !

J’suis pas ben fin mais je regarde le monde autour de nous, et je me dis qu’y'a les choses qui changeront jamais, tant qu’on gardera nos mentalités de merde en ne se souciant qu’des « on-dit », ou pire : en laissant faire, en se cachant derrière Monsieur ou Madame  »Tout le Monde » !!!

Les étoiles jaunes, contrairement aux zigs décérébrés qui les ont escortées, y’avait un coeur qui battait en dessous…

Tu crois pas qu’y'aurait comme du « cousinage »,

avec ton histoire heu’d'peau noire ?!?

« Peau noire » qui va gêner qui, du reste ?…

Ha oui : Monsieur ou Madame « Tout le Monde » !!! »

 

http://www.youtube.com/watch?v=znkNbrajrO8&feature=related

 

René, embarrassé :

« Ceux dont tu me parles, tu sais que je les emmerde autant que toi, mon ami…

Quant aux noirs, je n’ai rien contre eux du moment qu’ils restent dans leurs pays !

Et jamais je n’aurais l’idée de vouloir les exterminer sous prétexte qu’ils ne vivent et ne mangent pas comme nous !!!

Je ne suis pas un monstre tout de même…

Avoue donc que la situation aurait été plus simple si Isabelle avait choisi quelqu’un de chez-nous…

Non ?!? »

Gaston:

« Quelqu’un de chez-nous : tu veux dire un « blanc » ou un Français ? »

 

René :

« Ben…

(Tu cherches la petite bête aujourd’hui, toi !)

Les deux mon colon !!! »

 

Gaston :

« Mon petit René : tu m’as bien dit que tu étais né à Colmar ? »

 

René :

« Et alors ?!? »

 

Gaston :

« Ben… En 1900, c’était sûrement déjà très beau et touristique, mais l’administration :

Siege of Paris.jpg

l’était pas un chouilla « teutonne » sur les bords à c’t'époque, et ce depuis la guerre de 70 ?!? »

 

René, l’oeil humide, se leva tel un patriote :

« Mais notre coeur n’a jamais cessé d’être Français, Môssieur !!! »

http://www.youtube.com/watch?v=TN3a4kOl4Yo

 

Gaston :

« Je le sais tout ça, mon bon René, mais parmi ceux qui nous ont permis de récupérer ce qui était à nous, il a ben fallu recruter d’la main d’oeuvre parmi des tirailleurs qu’on pouvait franchement pas confondre avec des vikings…

Et ceux-là : z’étaient Français à 150%, c’est probablement à cause de ça qu’ils sont les premiers à se faire butter sans broncher pour la patrie à la moindre guerre !!!

Et s’ils étaient resté « chez-eux », comme tu le voudrais aujourd’hui, l’aurait fallu qu’on s’décide à apprendre enfin l’teuton, ne serait-ce que pour remplir les formulaires… Car on s’rait encore, nous et tous les patelins de France, sous leur tutelle : comme Colmar en 1900… »

 

René :

« Oui ben… Colmar, c’est Français, comme le reste du pays, maintenant !

Ils nous ont donné un coup de main et on les remercie…

Mais pour repeupler la Patrie, j’te dis pas la tronche des descendants Gaulois si les noirs, les jaunes et les rouges viennent s’installer dans nos confins !!! »

 

Gaston, souriant :

« Et c’est toi qui dit ça : avec tes ancêtres Suisses-Allemands du côté de ta Mère et ton épouse né en Angleterre ?!?

Ha, évidemment, ils ont la chance d’avoir la teinte locale : ça aide à s’fondre dans la masse… Un peu comme  cet américain qui a brisé le coeur de ta fille, si tu vois ce que je veux dire ! »

 

René était complètement hébété. C’était bien la première fois qu’il y avait une divergence entre lui et son copain Gaston.

Le pire, c’est qu’il n’avait aucun argument réellement valable et politiquement correct à lui opposer.

C’était épidermique, il n’y pouvait rien !

Ce type qui venait pour lui prendre sa fille était noir, et pire : les deux « commettraient » des enfants qui « terniraient » sa descendance !!!

C’est ainsi que notre brave Gaston, voyant le désarroi de son ami, prit l’initiative de l’emmener goûter des vins dans la cave, histoire de décanter aussi bien les nectars que les esprits.

Les deux se laissèrent doucement glisser dans un monde parallèle où tout délire était le bien venu, particulièrement en matière d’histoire de France et de géographie, pour lesquelles notre brave Gaston, enfant, fut souvent sanctionné d’un bonnet d’âne…

http://www.youtube.com/watch?v=R1c6Fu-Wj8M

Alphonsine, comme nous l’avons déjà vu, n’avait pas pris de gants pour recadrer nos deux lascars et les ramener à un monde beaucoup moins drôle : celui de la réalité !

 

Bien plus tard, chacun avait retrouvé son lit alors que le réveillon s’était terminé à presque une heure du matin…

Barnabé n’arrivait pas encore à trouver le sommeil.

Il était pourtant installé bien au chaud dans le lit de la chambre d’ami, au sein de la maison de Gaston et Alphonsine.

Il lui manquait cependant l’essentiel :

sa douce Isabelle,

dont l’absence charnelle bien orchestrée par « futur beau-papa » avait fait de son lit un espace de solitude.

Qu’importe, ils auraient le restant de leur vie pour profiter l’un de l’autre.

C’est au moment où,

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aidé par Morphée,

Barnabé esquissait ce conte de fée qu’il voulait être le reste de sa vie avec Isabelle, que la porte de la chambre s’entrouvrit, laissant apparaitre une lumière qu’on devinait tenue par une ombre…

Barnabé, intrigué :

« Isabelle : c’est toi ?… »

 

A suivre…

( 3 septembre, 2011 )

Nineties : « Puisqu’il fallait bien continuer… » (31ème partie)

« Les anges maudits, les comptables et le père prodigue…« 

Chapitre 29 :

Nineties :

L’amour plus fort que tout ?… (9/12)

 dans Et mes souvenirs deviennent ce que les anciens en font.

« C’est la belle nuit de Noël…« 

 

 

 dans Saga familiale

Depuis 1946, chaque Noël fut illustré par cette chanson incontournable chanté par notre star incontesté de l’époque : Tino Rossi. L’orchestration était de Raymond Legrand (1908-1974), père de Michel Legrand (né en 1932)…

http://www.youtube.com/watch?v=j_joinsETiM&ob=av2n

 

 

Quoi que venant lui aussi d’une île française, Barnabé n’allait pas tarder à devenir une star à son tour, même si son rayon d’action était beaucoup plus restreint, se limitant au salon d’Alice et René, sans compter les « petits curieux » (et surtout curieuses !) qui regardaient derrière leur fenêtre et auraient bien voulu être une petite souris…

Ces dames étaient suspendues à ses lèvres, y compris Soeur Marie Genevieve des Anges que mon coquin de Père tentait de déstabiliser !

 

Barnabé à Tante Geneviève :

« Cette alliance que vous avez au doigt est bien le symbole vous liant à Dieu, à qui vous êtes mariée en quelque sorte ?… »

 

Tante Geneviève :

« Pas en quelque sorte, mais totalement ! »

 

Barnabé :

« Et vous n’êtes pas jalouse de toutes ces femmes avec qui vous devez le partager ? »

 

Isabelle, gênée :

« Barnabé, voyons ! »

 

Barnabé, joignant ses deux mains :

« De plus, avec lui, c’est : « faites ce que je dis, surtout pas ce que je fais »…

Il instaure la monogamie, prône la fidélité et condamne l’adultère pour nous, « communs des mortels »,

mais se garde bien de respecter lui-même les préceptes qu’il nous impose ! »

 

Isabelle, fronçant les sourcils :

« Barnabé !! »

 

Barnabé, mimant le faciès et la voix d’un prêcheur :

« En vérité, je vous le dis : celui que l’on nomme « Le Tout Puissant », non content de posséder le harem le plus fourni de l’histoire de l’univers, s’est livré à l’acte de chair avec la femme d’un autre…

Détail aggravant, un enfant adultérin naquit de cette union : ça a beaucoup fait parler à l’époque ! »

 

Isabelle, prête à exploser :

« Barnabé, cette fois, ça suffit !!! »

 

 

Tante Geneviève, avec ironie :

« Savez-vous, Monsieur Barnabé, qu’il paraît que l’on en parle encore de nos jours ?

Et les incroyants, enfin : ceux qui se disent laïcs, voire anticléricaux, ont cette ouverture d’esprit de fêter chaque année sa naissance en partageant un repas réunissant les familles et les amis ! »

 

Barnabé :

« Vu sous cet angle…

Dommage que cette tradition sente autant le sapin… »

 

« Dites, les enfants : je veux bien écrire une thèse sur les évangiles selon « Saint Barnabé de la Calotte Réfractaire », mais j’ai une dinde à préparer pour ce soir, moi !!! »

Cette voix était celle de la femme de Gaston,

Alphonsine…

 

Barnabé, se tenant le ventre :

« Ha c’est vrai : on remet ça ce soir ! »

 

Alphonsine :

« Je veux, mon neveux !!!

Et : convocation huit heures… »

 

Pendant ce temps, mon Grand-Père et Gaston étaient…

Tiens : où étaient-ils, au fait ?!?

Non : je n’y crois pas !!!

Après le déjeuner, ils en avait profité pour se carapater dans la cave de la maison de Gaston et goûtaient le vin pour le réveillon de ce soir, avec une application sans égale … A ce niveau, nous avions franchement dépassé le stade de l’excès de zèle !

 

René :

« Ce qui est bien avec mon « futur gendre », c’est qu’on n’a pas besoin d’ouvrir la TSF ! »

 

Gaston :

« Faut voir le côté positif de la chose : il a neutralisé nos fumelles, c’est toujours ça de pris, comme disait ma Grand-Mère…

Goûte-donc voir encore une larmichette de ce rouquin ! »

 

René :

« Hurps !

Il taquine un peu mais on s’y ferait vite… »

 

Gaston :

« T’as raison : il attaque sèchement le palais…

A la tienne, mon gars ! »

 

René :

« Ben tu vois : C’est dans des moments comme ça qu’on serait tenté de croire en Dieu… »

 

Alphonsine ayant fait soudain irruption :

« Et vous feriez de bonnes recrues !!! »

 

René et Gaston à l’unisson :

« Ciel, {ta/ma} femme !!! »

 

Alphonsine, furieuse :

« Vous n’avez pas honte de vous pochetronner le jour de la première visite du futur mari d’Isabelle ?!? »

 

Gaston, tout penaud :

« Justement, on était en train d’enterrer sa vie de jeune fille… »

 

Alphonsine :

« Je vais vous enterrer quelque-chose, moi…

Allez vous allonger dans la chambre et refaites-vous une santé pour ce soir !

Je vous préviens, Messieurs : le premier qui fait honte à ma petite Isabelle,  je lui remonte les amygdales à coup de lattes dans les valseuses !!! »

 

Les deux remontèrent les escaliers en se cramponnant l’un à l’autre.

Ils s’affalèrent sur le lit de la chambre de Gaston et Alphonsine.

 

René, avant de sombrer dans un « presque coma » eu le temps de dire :

« Sacrée Alphonsine : c’est une nature ! »

 

C’en était une en effet…

Mais c’était aussi la plus brave des femmes.

Elle faisait partie des jeunes volontaires qui s’occupaient des premiers blessés qui revenaient du front dès 1914.

C’est là qu’elle fit la connaissance de Gaston, qui avait été salement amoché, et dont elle pris de plus en plus de plaisir à s’occuper.

Elle, très autoritaire, s’était laissée apprivoisée par la vulnérabilité de Gaston, un homme qui n’avait aucune confiance en lui et semblait accepter les malchances de la vie, comme si c’était le prix à payer pour n’être pas le nombril de ce monde aussi cruel que prétentieux…

http://www.youtube.com/watch?v=3Su5jckSY3s

 

Le mariage eu lieu l’année suivante.

Son plus grand regret fut de ne jamais avoir eu d’enfants, conséquences des blessures de Gaston. Pour compenser ce vide, les deux accueillaient souvent neveux et nièces qui égayaient leur foyer pendant les vacances scolaires.

Dans les années 20, héritage aidant, ils avaient acheté la maison qui jouxtait « la Villa Isabelle » (à l’opposé de celle de « la Marquise »), qui ne portait pas encore ce nom et qui était à l’abandon depuis quelques années.

De temps en temps, un paysan du coin surnommé « le vieil Aristide », venait débroussailler le terrain.

Alphonsine avait essayé de savoir à qui appartenait cette propriété fantôme…

 

Aristide :

« Bah, c’est un rentier qui possède plusieurs terrains et propriétés dans le coin, mais il y fout jamais les pieds : pfff, c’est ben des trucs de riche, ça !!!

Si vous voulez mon avis : les affaires doivent pas être ben fameuses en ce moment… »

 

Alphonsine :

« Tiens-donc ?!? »

 

Aristide :

« Ben oui : il n’arrête pas d’mettre en vente ses biens, années après années !

Quand je pense que c’t'animal-là possédait pratiquement tout Tigreville…

Si ça continue, il ne lui restera plus que cette villa et le champ qui est juste en face, de l’autre côté de la rue…

Sans compter le fermage que j’occupe. »

En fait, « Charles le catholique » avait fait don de ces deux terrains à son fils René dès 1925 en cadeau de mariage, ce qui explique qu’ils aient échappés à débâcle qui suivit.

En 1940, le veil Aristide, le corps de plus en plus marqué par le poids des années, avait cependant comme un éclair dans le regard.

 

Il dit à Alphonsine :

« Vous allez bientôt avoir des voisins, ma brav’Dame !

C’est l’fils du proprio qui a décidé de fuir la capitale, parce-que les  shleuhs arrivent à vitesse grand V là-bas… Remarquez : z’auront pas d’mal à prendre leurs quartiers, vu que les politicards et même l’armée comptent se faire la tangente !

C’est tout juste si on va pas leur dérouler un tapis rouge à ces cons-là…

Pauvre France !!! »

 

 

Alphonsine :

« C’est vrai qu’ici, ce sera plus calme…

Le tout, c’est de savoir si ça va durer ! »

Elle eut la réponse à cette question le 6 juin 1944… 

Enfin, seule chose positive en cette sombre année 1940 :

arrivée de René, Alice et Isabelle !

« Sept ans déjà ! » se disait Alphonsine…

Dans le quartier, tous les autochtones regardaient ceux qu’ils appelaient « les parigots » tels des bêtes curieuses, depuis leurs fenêtres où leurs jardins, sur lesquels ils faisaient semblant de travailler.

Il y avait aussi « la Marquise », dont on aurait difficilement deviné que soixante coups venaient de sonner à son horloge,

qui commençait à fantasmer sur le nouvel arrivant mâle, planquée derrière ses rideaux…

Alphonsine et Gaston avaient tout de suite ouvert leur porte et prêté le minimum nécessaire à leurs nouveaux voisins, le temps que les meubles parviennent à destination à l’aide de cette charrette tractée par deux chevaux, louée à une connaissance du vieil Aristide, que René n’attendait pas avant deux jours.

Nos trois « exilés » avaient pris le train, valises à la main…

Isabelle, encore âgée de treize ans, avait un visage triste et désespéré qui toucha Alphonsine au plus profond de son âme.

Elle lui tendit un livre en lui disant :

« Tiens, ma petite fille : je te le donne si tu me promets de me faire un beau sourire… »

Le regard d’Isabelle s’illumina, comme le coeur d’Alphonsine qui ne supportait déjà pas la tristesse des adultes, alors celle d’une enfant ! »

 

Isabelle, tout sourire :

« Félix le chat !!!

Ho, merci Madame… »

 

Alphonsine :

« Fais-moi plaisir : ne m’appelle pas Madame mais « Alphonsine », ou « Tante Alphonsine », si tu veux ! »

 

Une empathie aussi belle qu’irréversible dont Isabelle était la porte d’entrée venait de naître entre deux familles, qui devinrent dès lors inséparables.

Chaque affinité fonctionnait tel un vase communiquant.

Ainsi, à l’autorité et les emportements d’Alphonsine, Alice répondait avec sa modération et son flegme britannique; quand « René l’électricien » râlait trop entre deux crises de neurasthénie, « Gaston le plombier » répondait par sa bonhomie et son humour souvent involontaire.

Cette complémentarité aida à passer le cap difficile des quatre années qui suivirent, créant quelques jalousies au passage…

Car il est bien connu que ça emmerde les gens quand on ne vit pas comme eux, dans l’égoïsme, la couardise et la méchanceté au service des incompétences !

 

Et oui, cela faisait sept années que les deux familles passaient les nuits de Noël ensemble, mais aujourd’hui, cette veillée avait un goût amer, car ce serait sûrement la dernière avec Isabelle qui allait vivre sa vie.

C’était dans l’ordre des choses, évidemment, mais Alphonsine avait le coeur serré, car elle avait reporté sur la fille d’Alice et René tout l’amour qu’elle n’avait pu offrir à l’enfant que la nature lui avait refusée.

Il en était de même pour Gaston.

En parlant de ce dernier, il fut le premier à se réveiller. Il secoua son ami René qui eut du mal à émerger.

Alphonsine entra dans la chambre et tendit un verre à chacun.

 

René, se tenant la tête :

 

« Qu’est-ce que c’est ? »

 

Alphonsine :

 » De quoi faire taire le big-band qui joue dans ta calebasse, mon bon ami :

de l’Aspirine du Rhône ! »

 

Gaston, se tenant également la tête :

« J’sais pas si c’est un « big-band » qui joue dans mon crâne, mais si ta potion magique pouvait flinguer le batteur, ça ferait du bien à la France… »

 

Barnabé avait déposé sa valise dans la chambre qu’Alphonsine lui avait préparée.

Il n’était pas dupe et savait que si son anticlérical de futur beau-père avait invité sa soeur « soeur », c’était pour avoir l’excuse de ne pas le recevoir sous le même toit que sa fille, « avant mariage »…

Enfin, quoi qu’il en soit, la veillée de Noël pouvait commencer,

 

 

Dans la joie et la bonne humeur…

 

A suivre…

( 14 août, 2011 )

Ninties : « Puisqu’il fallait bien continuer… » (30ème partie)

« Les anges maudits, les comptables et le père prodigue…« 

Chapitre 28 :

Ninties :

 

L’amour plus fort que tout ?… (8/12)

 

 dans Et mes souvenirs deviennent ce que les anciens en font.

« Duels intimes à Tigreville !!!« 

                  ou :

« Le charme quotidien de la vie à deux…« 

 dans Saga familiale

http://www.youtube.com/watch?v=_x_g4-0JFBM&feature=related

 

Mercredi 24 décembre 1947, Tigreville :  »avenue du 14 juillet »  :

plusieurs coups de klaxons raisonnèrent aux abords de la « villa Isabelle »…

 

Un des voisins, parlant à sa femme :

« Dis-moi, « Mémène » : c’est pas l’jeudi qu’il passe, l’épicier ambulant ?!? »

 

 

 

Sa femme,  »gaie comme le canal », « aimable comme une porte de prison » et assez hautaine (convenons-en !) :

« Mon pauvre Alphonse, tu n’auras donc jamais l’oreille musicale !

Ce n’est pas le klaxon de l’épicier, mais celui de la Traction Avant du Père Gerbesah, qui est venu chercher le futur gendre d’Alice et de René : nos « chers voisins »… »

 

 

Alphonse, soupirant comme il le fit bien des fois et prenant à son tour un air précieux :

« Il est certain qu’un des plus grands regrets de mon humble existence, c’est de n’avoir jamais travaillé le solfège « 48 heures sur 24″, guidé par des parents tyranniques, afin d’avoir le droit d’assassiner ensuite les plus grands compositeurs,

à l’aide de ces pianos qui, avoue-le, ne t’avaient rien fait !!! »

 

 

 

« Mémène », subodorant la suite :

« Pourquoi me dis-tu ça mon pauvre ami, et sur ce ton si singulier ?!? »

 

Alphonse, petit sourire sadique au coin des lèvres :

« Si j’avais l’érudition musicale que tu étales chaque jour à tire-larigot, tel un Sarthois ses rillettes sur une tartine de pain avec le même narcissisme, je pense à la fierté que j’aurais aujourd’hui à me servir de mes esgourdes expertes…

Toutes ces années à grimper puis descendre des gammes, des arpèges, crampes aux doigts et aux cordes vocales juste pour différencier quelque trente ans plus tard le son des klaxons de l’épicier et du du Père Gerbesah…

L’aboutissement de toute une vie, en quelque sorte : comme je t’envie !!! »

 

Elle, dans un soupir, haussant les sourcils :

« Et moi : si tu savais comme je t’emmerde… »

Puis, regardant depuis la fenêtre Barnabé qui sortait de la voiture :

« Mon Dieu : mais c’est un nègre !!! »

 

Alphonse, décontenancé :

« Peux-tu me redire ça ?!? »

 

Elle, sur la défensive :

« …J’ai dit…

Et moi : si tu savais comme  je t’emmerde !!! »

 

Alphonse, grimaçant :

« Mais non : ce que tu m’as dit après… »

 

Elle :

« C’est un nègre !!! »

 

Alphonse, faisant preuve d’une compassion hypocrite :

« Pauvres Alice et René : avoir survécu à la guerre pour en arriver à un telle déchéance… »

 

Pendant ce temps, depuis une autre fenêtre, une femme jouait les concierges.

S’adressant à son mari :

« Il faudra qu’on m’explique comment un plombier peut se payer une telle voiture… »

 

Le mari était installé dans son fauteuil et lisait son journal tout en tirant sur sa pipe.

Il répond :

« Qu’est-ce que ça peut bien te foutre ? »

 

Elle, vexée :

« Ce que tu peux être aimable quand tu t’y mets !!! »

 

lui :

« Et toi : tu ne te reposes donc jamais ?

Après avoir fait courir le bruit que Gaston (Gerbesah) et René avaient collaboré, tu veux les accuser de quoi, cette fois-ci ?

De faire partie du « Gang des Tractions Avant » ?!?

J’te préviens : tes conneries, ça commence à suffire !!!

Si je n’avais pas graissé la patte à cet abruti de Beaufort il y a trois ans, nous aurions eu de sérieux ennuis, si tu vois ce que je veux dire… »

 

La femme, piquée au vif :

« Je n’ai fait que répéter ce que tout le monde disait; et puis, il n’y a pas de fumée sans feu ! »

 

Lui :

« Sauf par temps de brouillard ma bonne amie !

Souviens-toi de l’affaire Dreyfus…

 

Elle :

« Et alors, qu’est-ce que l’histoire de ce juif vient faire là-dedans ? »

 

Lui :

« Le seul feu qui ait existé dans cette sombre affaire était dans la cheminée qui a occis

notre regretté Emile Zola en 1902,

probablement victime des colporteurs de ragots dont tu te réclames en utilisant leur technique et leur langage, quarante et un ans après la réhabilitation de Dreyfus !!!

Lui, au moins, il signait ses écrits, ce qui n’est pas le cas de tout le monde !

Quand Zola écrivit en pleine lumière  »J’accuse »,

d’autres rétorquèrent plus tard, dans l’ombre : « Je dénonce, je calomnie !!! »… »

Yves Duteil, descendant du Capitaine Dreyfus

(qui ne naîtra que deux ans après cette conversation).

 

http://www.youtube.com/watch?v=5n0ZUvgpzDs

 

Tandis qu’elle hausse les épaules, il regarde l’horloge puis dit :

« Et ce repas, ça vient ?!?

J’voudrais pas dire, mais on se la saute (traduction : « j’ai faim ! »)… »

 

La femme, sourire vicieux aux lèvres :

« Hum…

Le facteur aussi, il se la saute ! »

 

Le mari :

« Plaît-il ?!? »

 

Effectivement, celle que le quartier avait surnommée  »La marquise » s’offrait du bon temps avec le préposé des postes, qui avait laissé son vélo au portail…

On ne connaissait rien de son passé, si ce n’est qu’un vieux rentier l’avait épousée alors qu’elle était très jeune.

L’homme, qui n’avait pas d’héritiers, mourut à l’âge de quatre-vingt ans dans les bras de son épouse qui en avait quarante-huit de moins, et se retrouva dès 1912 à la tête d’une petite fortune.

Depuis, elle profitait… De la vie, dirons-nous (!) à l’image de la Dame décrite dans la chanson…

http://www.youtube.com/watch?v=xE39LiZD4Hg

 

« Dis-donc, Gaston : tu pouvais aussi faire venir la fanfare de Ouistréham et celle de Cabourg, pendant que tu y étais !!! »

Ainsi parlait mon Grand-Père…

 

Gaston, tout sourire :

« Et ben ma vieille : on est bougon à c’t'heure ?!?

Je te présente ton futur gendre… »

 

René et Barnabé se serrèrent la main sans se quitter du regard, et avec une chaleur comparable à celle du Pôle Nord et Sud Réunis, ils inclinèrent la tête en sortant de leurs cordes vocales un « Monsieur » sorti au forceps…

 

Alors que « Tante Geneviève » et Alice firent leur apparition dans la cour,

Isabelle se disait :

« Et bien, mes ayeux : c’est pas encore gagné !!! »

 

A suivre…

( 17 juillet, 2011 )

Ninteties : « Puisqu’il fallait bien continuer… » (29ème partie)

« les anges déchus, les comptables et le père prodigue…« 

Chapitre 27 :

Ninteties :

L’amour plus fort que tout ?… (7/12)

 dans Et mes souvenirs deviennent ce que les anciens en font.

L’homélie d’Isabelle… « De Bergerac » !!!

Isabelle :

« Papa, Maman, Tante Geneviève : je vais vous lire ce que j’ai écrit cette nuit, alors que je ne savais pas comment vous expliquer ce que sera ma vie. Ne trouvant l’inspiration, j’ai puisé dans l’oeuvre d’Edmond Rostand et changé ce qu’il fallait pour le personnaliser… »

René, haussant les épaules :

« Elle se prend pour Edmond Rostant, maintenant : nous voilà bien !!! »

Alice :

« Chut ! Tais-toi !!! »

René, bougonnant :

« Ha dis-donc : depuis que vous avez le droit de vote ! Hein ?… » 

Isabelle, sous l’oeil bienveillant de Tante Geneviève :

« … Et que fallait-il faire ?

 

 dans Saga familiale

Prendre un mari fortuné, pour mieux m’asservir

Et ranger l’amour fou parmi mes souvenirs

Renoncer aux attouchements les plus  »charnels »

Vivre de calculs savants et conventionnels ?

Non, merci. Ne vivre que par procuration

Votre  »existence rêvée » dénudée de passion,

Dans le vil espoir d’effacer tous vos regrets

M’emprisonner pour ce que vous n’avez point fait ?

Non, merci. Me faut-il mépriser le bonheur

Pour une histoire de quoi ? Une histoire de couleur ?!?

Embrasser les thèses de sombres nationalistes

De peur qu’ils ne nous mettent sur la liste ?

Non, merci. S’unir à n’importe quel crétin

Pourvu qu’il soit blanc, ce que veulent mes chers cousins

Qui se gargarisent de paroles raisonnables,

Leurs femmes ne servant qu’à mettre la table ?

Non, merci ! non, merci ! non merci !!! Mais… oser,

Fuir la raison , par le coeur se laisser guider !

Aimer, oui, à en pulvériser les tabous

Être tellement heureux et le crier partout !!! »

 

Il y eut un silence… Un long silence…

Alice repensait à ce bal où elle rencontra René en 1925.

Déjà à l’époque, elle se demandait pourquoi les chansons d’amour étaient si tristes.

En faisant le bilan de sa vie de femme, il fallait bien l’admettre : elle était bien loin des revendications de ce joli bébé qu’elle mit au monde en 1926, et qui était devenue aujourd’hui (1947) une femme, sans qu’elle ait eu le temps de s’en apercevoir !

« La passion », c’était donc ça que souhaitaient connaître les femmes adultes des années 50, comme Isabelle ?!?

« Puissent les chansons de la décennie à venir être plus encourageantes que les nôtres », se disait Alice, bien inquiète pour l’avenir de sa fille, qui allait lui présenter son futur gendre demain…

http://www.youtube.com/watch?v=PFBVnsBEeLg&feature=related

 

A suivre…

( 8 juillet, 2011 )

Nineties : « puisqu’il fallait bien continuer… » (28ème partie)

« Les anges déchus, les comptables et le père prodigue…« 

Chapitre 26 :

Nineties :

L’amour plus fort que tout ?… (6/12)

 dans Et mes souvenirs deviennent ce que les anciens en font.

« Commedia dell’arte !!!« 

http://www.youtube.com/watch?v=b5prn9W7xfc&feature=fvwrel

 dans Saga familiale

La Traction Avant Citroën du Père Gerbesah était presque arrivée à destination.

Ses passagers : Isabelle et Barnabé discutaient, non sans une certaine tension…

Barnabé :

« Dans quel monde vis-tu, ma pauvre : tu ignorais donc qu’aux États-Unis, on pratique la discrimination raciale ?!? »

Isabelle :

« Je le savais bien sûr !

J’avais tellement espéré que Peter ne fasse pas partie du lot… »

Gaston (Gerbesah) : 

« Y t’as écrit quoi exactement  »l’ostrogoth », pour te met’ dans des états pareils ?!? »

Barnabé, prenant la parole à sa place :

« Pas difficile à deviner : quand Mademoiselle a annoncé à son  »Robin des Bois » qu’elle comptait épouser un Antillais, Môssieur a répondu :

« Épouser un homme de couleur, vous plaisantez, ma chère !!! »… »

Gaston, à Isabelle :

« Et tu comptes lui répondre à c’te grand couillon ?!? »

Isabelle :

« Ha ça : plus jamais… »

Et elle se replongea dans cette discussion de la veille qui l’opposa à ses parents, dans la villa qui portait son nom, comptant sur le soutien de Tante Geneviève…

Isabelle, qui venait juste de terminer la lecture de la lettre de Peter à son père :

« Oui : l’homme que j’aime et avec qui je veux fonder une famille a la peau noire !!! »

René :

« Et bien…

Il ne manquait plus que ça… »

Alice :

« Tu comptes avoir des enfants avec ce…

Enfin…

Cet indigène des colonies ?!? »

Isabelle :

« Les Antilles sont devenues des départements français depuis l’année dernière, Maman !

Barnabé est donc un citoyen avec les mêmes droits que n’importe qui en France… »

René :

« Peut-être, mais…

Il est…

Enfin,

il n’est pas tout à fait comme nous, quoi !!! »

Tante Geneviève (la bonne soeur) :

« C’est avant tout une créature de Dieu, ne l’oublions-pas ! »

René :

« Pfff !!! Si l’église s’en mêle… »

Isabelle, embarrassée :

« Justement, en parlant d’église… »

René, le regard horrifié :

« Ne me dis pas qu’il est « pasteur » ou quelque-chose comme ça, en plus !!! »

Isabelle, retrouvant le sourire :

« Ça ne risque pas…

A part toi, je ne pense pas avoir connu une personne plus réticente à l’égard des religions, quelles qu’elles soient !!! »

René, arborant le même sourire :

« Ho !!! »

Soeur Geneviève, déçue :

« Ha ?!? »

Isabelle :

« Mais le mariage sera quand-même célébré à l’église… »

Tante Geneviève :

« Ha !!! »

René :

« Je m’y étais fait, moi,  à l’idée que Peter devienne notre gendre… »

Alice :

« Il faut avouer que c’était un bon parti : avec lui ton avenir était assuré ! »

Isabelle, outrée :

« Et c’est toi, Maman, qui me dit ça ?!?

Ainsi, dans votre esprit, Je n’étais pas la petite correspondante

qui échangeait innocemment des lettres avec un soldat, héros de la Libération, mais juste une fille à marier, à mettre sur le marché comme une vulgaire marchandise ?!? »

René, sévère :

« Je ne te permets pas de nous parler sur ce ton !!! »

Isabelle :

« En vertu de quoi ?!?

Du droit des femmes à se taire et de celui des hommes à les traiter plus bas que terre, de les rendre malheureuses jusqu’à ce qu’elles deviennent veuves, donc :

enfin libres et épanouies ?!? »

http://www.youtube.com/watch?v=roDeNkSfgWU&feature=related 

Alice :

« Isabelle, mon enfant : tu vas trop loin… »

René :

« Tu viens ni plus ni moins de me traiter de « négrier » !!!

Fais attention, car tu as beau avoir vingt et un ans,

je peux encore te donner une gifle… »

Isabelle tends la joue et dit :

« Fais-le et ce sera la dernière : car plus jamais tu ne reverras ta fille unique !!! »

Alice, contre toute attente :

« Et tu te retrouveras seul, René, car il est hors de question que tu me sépares de mon enfant ! »

Tante Geneviève :

« Allons-allons : ne cédons-pas à la violence ni à la colère ! Tâchons d’ouvrir nos coeurs plutôt que de les fermer… »

René, atterré :

« C’est un cauchemar : je suis en train de dormir et je ne vais pas tarder à me réveiller… »

Alice :

« Te réveiller ?!? Il serait bien temps, tiens !!!

Si ta fille préfère se jeter dans les bras d’un nè… Heu…

D’un homme de couleur,

au lieu de saisir l’occasion de faire un beau mariage avec

« quelqu’un de normal », nous ne pouvons nous en prendre qu’à nous-même ! »

René :

« Ha ça, c’est la meilleure !!!

(il se retourne vers sa soeur)

Tu vas voir que ça va être de ma faute… »

Isabelle :

« Maman : il ne s’agit pas de… »

Alice lui coupe la parole, s’adressant à René :

« Ta faute ? Oui !!!

Mais la mienne aussi…

Un couple est sensé vivre heureux et en harmonie, non ? »

René :

« Et alors, où est le problème ? »

Isabelle :

« Papa, Maman, Je voudrais quand-même préciser que… »

Alice, lui recoupant la parole :

« Attends, ma fille…

(Puis, à René)

Tu n’as jamais réussi à comprendre qu’une Maman et une épouse,

c’était pas la même chose !!!

Ta vie, c’est un deuil perpétuel depuis la perte de ta Mère, mais que devrais-je dire, moi, qui n’ai jamais connu mes parents ?!?

Comment veux que la petite ait envie de fonder une famille « conventionnelle », quand  tu n’arrêtes pas de faire une gueule d’enterrement du soir au matin, et ce, depuis 1925, dès le premier jour de notre mariage ?!?

Les autres familles, elles, ne célèbrent la Toussaint qu’une fois par an, nous : c’est 365 jours, et je te fais grâce des années bissextiles !!!

Pour l’épanouissement de notre fille, on pouvait rêver mieux… »

René, outré et surtout complètement dépassé amorça une sortie, se dirigeant vers la porte, mais Isabelle se mit en travers.

En croisant son regard, il eut le sentiment que ce n’était plus celui de sa fille mais les yeux du diable en personne, ce qui le paralysa un moment…

Isabelle :

« Tu ne t’enfuiras pas une fois de plus, comme tu l’as fait si souvent à la moindre contradiction…

Il s’agit de mon avenir, j’ai des choses très importantes à dire : personne ne sortira et je ne veux plus être interrompue !!! »

Tante Geneviève avait pris son frère René par les épaules et l’avait guidé vers son fauteuil en cuir. Il était plus groggy que le jour où il avait reçu le crochet au foie dans cette bagarre mémorable qui l’avait opposée au « boxeur »…

Pour lui, tout venait de foutre le camp,

à part cette main qui prit tendrement la sienne.

C’était celle d’Alice, son épouse venue s’assoir à côté de lui, dont il n’imaginait pas qu’elle put un jour faire preuve de tant de caractère !

Il prit conscience en cet instant que dans un couple, rien n’était acquis définitivement, et qu’une fille, ça devient inévitablement une femme !!!

C’était elle qui allait imposer ses conditions et planter les jalons de son avenir…

 

A suivre…

( 3 juillet, 2011 )

Nineties : « Puisqu’il fallait bien continuer… » (27ème partie)

« Les anges déchus, les comptables et le père prodigue…« 

Chapitre 25 :

Nineties :

L’amour plus fort que tout ?… (5/12)

Les désillusions de « Peter le Magnifique »…

 dans Et mes souvenirs deviennent ce que les anciens en font.

Peter était un des héros du 6 juin 1944. On l’avait proposé comme correspondant à Isabelle, initiative qui visait à sceller l’amitié Franco-Américaine, après l’armistice en 1945.

Beaucoup de jeunes Françaises eurent ainsi l’occasion d’échanger des courriers avec ces soldats bienfaiteurs, venus d’outre-Atlantique…

Peter avait son avenir tout tracé en tant qu’avocat dans le cabinet familial, mais il était rebelle et très rêveur. Il n’était pas « major de sa promotion » à l’université, au grand désespoir de son père :

 dans Saga familiale

un homme aussi intraitable qu’ambitieux !

Il essaya de soustraire sa progéniture à l’incorporation, ce qui n’eut pas le don de plaire aux autorités.

C’est ainsi que Peter se retrouva en première ligne à « Omaha Beach »…

Lui, romantique belliqueux, se croyait invincible, tel son héros de référence

 

Robin des Bois !

Il pensait que les balles allemandes ne pouvaient occire le juste…

« Omaha Beach » le fit redescendre assez brutalement de son nuage,

il rejoignit le monde cruel des adultes

ce 6 juin 44 où il faillit bien mourir noyé !

Il ne savait pas comment il avait réussi à atteindre la plage, car il avait sauté de la barge, comme beaucoup d’autres camarades d’infortune qui essayaient désespérément de fuir le tir nourri des mitrailleuses allemandes.

Entraînés par un matériel trop lourd vers le fond, pas mal de marines se noyèrent.

D’autres, comme Peter, avaient dû faire l’abandon de leurs armes pour ne pas connaître le même sort.

Il avait nagé entre les corps de ses camarades qui s’entrechoquaient au sein des vagues déchaînées, rouges de leur sang, et les balles qui sifflaient, essayaient de happer tout ce qui était encore vivant…

En décembre 1945, Peter se confia à Isabelle dans une de ses lettres :

« Il est manifeste que Dieu semblait être du côté de cette armée définie comme invincible…

Pour preuve : ils avaient réduit dans cette vieille Europe tous ceux qui refusaient leur autorité en esclavage, colonies comprises !!!

Suprême humiliation, ils nous tiraient comme de vulgaires lapins, nous : représentants d’une nation que nous voulions la première du monde, si l’on s’en référait à notre culture aussi bien littéraire que cinématographique, si chères à mon coeur.

Je m’aperçu, bien avant d’aborder la côte, que tout le scénario de ce film macabre vécu en temps réel, ne nous avait pas été livré intégralement !

Je parvins cependant à atteindre la plage, miraculeusement épargné par les balles qui ne cessaient de me frôler, ma dague entre les dents…

« C’est avec ce « canif » que tu comptes me dégommer ces enculés ?!? »

Ce timbre de voix et ce langage très vert, je les avais reconnus : ils étaient l’oeuvre du sergent chef Harding, le seul dont la disparition n’aurait pas été le drame de mon existence.

J’avais eu le tort d’être « bien-né », contrairement à lui qui se complaisait à m’humilier pendant l’instruction.

Le chef me montra les cadavres de nos camarades qui jonchaient déjà la plage et dit :

« Ils sont armés mais ça ne leur sert plus à grand chose : va faire « tes courses », reprends le combat et allons botter le cul de ces enfoirés de frisés…

Exécution !!! »

C’était demandé si gentiment…

Pour me donner du courage, je chantais une bonne chanson de chez-nous :

« Yankee Doodle » !

http://www.youtube.com/watch?v=AwHvyqNDUvE&feature=related

Et nous avons grimpé cette falaise, mais au prix de la vie de combien des nôtres ?…

Contrairement à mon père qui s’était fait porté pâle en 1917, je devins un héros.

Il y eu la bataille des Ardennes, l’invasion de l’Allemagne et la libération des camps de concentration…

L’horreur : une vision inimaginable !!!

Nous étions beaucoup, parmi les soldats, à admirer Hitler sans en partager la doctrine.

Cet homme, petit caporal de la guerre 14, avait fait de son pays ruiné la plus grande puissance militaire mondiale, et il en était le chef…

Mais en voyant les corps entassés et les survivants réduits pratiquement à l’état de squelettes aux regards vidés de tout espoir, de toute âme, nous fûmes tous vaccinés !!!

Le führer se suicida et ses inconditionnels interprétèrent ce geste comme « grandiose »…

Nous sommes plusieurs, qui étions sur le terrain, à dire qu’il avait pris conscience qu’il était redevenu une sombre merde, et qu’il était mort comme un lâche n’assumant pas ce qu’il avait fait !

Le grand orateur était à court d’argument, mais les débats ne faisaient que commencer…

Pour ma part, je ne pardonnerai jamais à ce sombre personnage ce qu’il m’a obligé à faire au fond de la Manche et que ma conscience me rappelle chaque nuit !!! »

Peter et Isabelle entretenaient une correspondance régulière, chacun confiant ses doutes et ses espoirs dans une vie quotidienne qui reprenait son cours, essayant d’effacer les traumatismes de la guerre…

Et pourtant, c’est en décembre 1947 que « Peter le magnifique » brisa le coeur d’Isabelle, elle qui n’avait déjà pas besoin de ça !!!

 

A suivre…

( 14 juin, 2011 )

Nineties : « Puisqu’il fallait bien continuer… » (26ème partie…)

« Les anges déchus, les comptables et le père prodigue…« 

Chapitre 24 :

Nineties :

L’amour, plus fort que tout ?… (4/12)

 dans Et mes souvenirs deviennent ce que les anciens en font.

« Une confidente bien utile…« 

Isabelle avait garé son vélo le long du trottoir de la boulangerie, en calant la pédale pour qu’il reste debout.

C’était bien la première fois depuis le 6 juin 44 qu’elle avait décidé d’en franchir le seuil, après le drame qui s’y était déroulé.

Mais revenons quatre ans en arrière, en 1940…

René, nouvellement installé à la villa Isabelle, avait été sollicité en sa qualité d’électricien pour effectuer des travaux à la boulangerie, chaudement recommandé par son nouveau voisin et ami Gaston Gerbesah.

Cela ne pouvait pas mieux tomber, car les économies fondaient fondaient comme « neige au soleil », en cette période où les rectrictions ne faisaient que commencer.

Prosper, le patron, avait la bonhomie de l’homme de cinquante ans qui avait réussi sa vie.

 dans Saga familiale

Il avait perdu sa première épouse ainsi que l’enfant qu’elle tenta de mettre au monde, en cette sombre année 1926. La vie n’ayant plus de sens pour lui, il eut pour la première fois la tentation d’y mettre fin. Mais ce n’était pas si évident : il fallait en avoir le courage… Ou bien l’inconscience ?

Allez savoir !

Notre ami Gaston, lui, ne se posait pas ce genre de question, et depuis la Grande Guerre où il avait été mariculeusement sauvé, il avait secoué son copain pour lui dire que cette putain de vie valait quand même le coup d’être vécue, malgré les coup de pied au derche qu’elle se plaît à vous donner, c’te garce !!!

Prosper avait échappé à la mobilisation de 1914 (il avait 24 ans) car il avait été victime d’un accident de la voie pubique quelques mois auparavant. Il fut dit que c’est sa solide constitution qui le sauva. Il pesait le quintal et atteignait facilement le mètre quatre vingt dix. Aussi fort qu’un taureau, personne n’avait songé à le contrarier au café, où il s’octroyait des récréations bien méritées !

Mais il n’usait pas de son physique à des fin belliqueuses, car il était le plus brave des hommes…

A la caisse du bistrot, une jeune femme nommée Mariette,  venue de la ville, enfin : d’une autre ville, se faisait de plus en plus tendre avec notre ami Prosper. Elle avait quinze ans de moins que lui, mais cette union fut encouragée par une bonne partie de la population qui ne voulait pas voir partir celui qui faisait du si bon pain !

De ce fait, elle planta ses jalons et devint la caissière, puis l’épouse de Prosper, qui retrouva une raison de vivre.

Gaston, son témoin, était heureux pour lui.

Hélas…

Prosper comprit qu’il s’était fait berner, car ce n’était pas le coeur qui guidait sa belle, mais un organe situé un peu plus bas !

Lors de son veuvage, il avait bien fallu engager un mitron, car Prosper ne pouvait assurer le travail tout seul. Il en était d’ailleurs fort satisfait, malgré que le jeune homme soit d’une timidité maladive, donc souvent très maladroit.

Mariette trouva le moyen de le guérir de ses démons, elle qui les avait au corps !!!

Un service rendu pour un autre ?

Mais pour le couple, quelque-chose d’irréversible portant le nom de « sévices » !!!

C’est en poussant la porte de cette boulangerie que René et sa fille firent intrusion dans l’univers impitoyable

de Mariette, femme vénale et adultère,

mais qui avait la beauté du diable !

Incorrigible, elle avait essayé ses charmes sur René qui n’y était pas insensible, mais préférait amplement l’amitié de Prosper aux appétits lubriques de cette créature !

Et puis, Alice veillait au grain, car son mari avait beau être correct, il n’était qu’un homme, après tout… Et les hommes parfois sont si faibles !!!

Quatre années passèrent jusqu’à ce 6 juin 1944, et trois autres encore jusqu’à ce qu’Isabelle se retrouve aujourd’hui au beau milieu de ses souvenirs…

Elle eut un petit pincement au coeur en entrant dans cette boulangerie qu’elle connaissait depuis ses treize ans.

Lorsqu’elle revenait du pensionnat, elle aimait bien aller chercher le pain pour raconter à Prosper ce qu’elle avait vécu dans la semaine.

Il lui donnait chaque fois un bonbon ou une confiserie.

Il y avait une grande complicité entre les deux.

Si son enfant n’était pas mort à la naissance, « il » ou « elle » aurait le même âge qu’Isabelle.

Mariette, beaucoup plus motivée par ses toilettes et le contenu du tiroir-caisse que par les relations humaines, était agacée par cette relation.

Au fil du temps, elle voyait cette petite fille innocente dont le corps se transformait, comme le veut la nature, avant que l’adolescente ne devienne femme.

Elle en devint même jalouse !

Les oeillades coquines de Mariette échangés avec le mitron faisaient de la peine à Isabelle, qui avait oublié d’être aveugle. Elle préférait ne pas imaginer ce qui se passait dans l’arrière boutique.

Pauvre Prosper : il ne méritait vraiment pas ça !

La femme joua les veuves éplorées juste le temps de donner le change au public, lorsque Prosper fut tué dans les premiers bombardement du 6 juin 44.

Que faisait-il dans la rue à ce moment-là, au lieu de rejoindre les abris ?

Pour Isabelle, il n’y avait aucun doute : pas d’enfants, pas de vie amoureuse ni de tendresse, juste le droit de travailler du soir au matin… C’était bien un suicide qui ne portait pas son nom !

Il n’y a que dans les romans que les choses se terminent bien, et Pagnol n’avait hélas pas écrit le script de la vie du pauvre Prosper, même s’il était boulanger…

Isabelle n’entendrait plus le disque qu’il lui passait, tout simplement parque les paroles évoquait Paris, ville de naissance de celle qu’il appelait affectueusement « sa petite fille ».

http://www.youtube.com/watch?v=7SfkrvNVqMc

Ainsi, « Madame » put coucher avec son amant, qui avait dès lors chaussé les pantoufles de son patron et réchauffé son lit, en toute impunité, sans honte !!!

René et Alice furent surpris du refus de leur fille d’aller chercher le pain à partir de cette date…

Trois ans plus tard, la patronne était toujours derrière sa caisse, l’ex mitron commençait à avoir la bedaine et l’oeillade coquine était destinée à un nouvel employé.

Fit-elle semblant de ne pas reconnaître Isabelle en lui tendant la miche de pain ?

Peu lui importait…

En reprenant son vélo, elle eu un sourire narquois en pensant à l’arrière boutique :

si les murs pouvaient parler !!!

Il fallait traverser la grand-route, passage dangereux, pour rejoindre la villa familiale.

Le facteur s’apprétait à mettre le courrier dans la boîte, mais le remit directement à Isabelle qui le remercia.

Elle ouvrit sur place une lettre venue des États-Unis, la lut, puis la referma, très contrariée…

Alors qu’elle rangeait son vélo en fronçant les sourcils, elle reconnut la voix de Tante Geneviève :

« Comme tu as de la chance : le temps passe et tu embellis de jours en jours !

viens m’embrasser… »

Isabelle s’éxécuta, regarda alentour puis dit :

« Papa et Maman sont absents ? »

Geneviève :

« Ils sont juste à côté, chez Gaston.

« Je crois qu’ils mettent au point les préparatifs pour loger ce jeune homme que tu dois leur présenter… »

Isabelle :

« Ha, tu es déjà au courant ? »

Geneviève :

« René et Alice se font une joie de ces fiançailles ! »

Puis, voyant Isabelle soudain embarrassée :

« Quelque-chose ne va pas, mon enfant ?… »

Isabelle ne put retenir ses larmes, Geneviève la pris dans ses bras :

« Allons dans ma chambre et confie-moi les secrets qui te rongent… »

Isabelle, se sentant libérée et en confiance, se livra à une confession complète et détaillée, assise à côté de Geneviève qui lui tenait la main; en ces instants où le coeur s’exprimait avec toute la sincérité du monde, ce n’était plus Tante Geneviève qui l’écoutait et partageait avec elle, mais soeur  »Soeur Marie Geneviève des Anges »…

Elle parla de Barnabée, bien sûr, et sans rien cacher, mais aussi de cette lettre qui l’avait terriblement déçue !

 

A la fin de l’entretien, Geneviève se recueillit, Isabelle en fit autant.

Par l’intensité de ce silence, il y eut « communion entre les deux femmes dont l’une était  »le confesseur » et l’autre  »le confessé »…

http://www.youtube.com/watch?v=4XwieZNtJzM

Puis, rompant enfin le silence, Geneviève dit :

« Dieu, créateur de toute chose, ne reconnaît qu’une couleur : celle de l’amour !

Il ne peut que bénir cette union, même si vous avez précipité certaines choses avant le mariage… »

Isabelle :

« Dieu, je n’en n’ai jamais douté, mais tu connais Papa !

Quand il va savoir que Barnabé est noir, il risque de nous faire une crise d’apoplexie sur place !!!

Et quand il va connaître les propos de cette lettre, tenus par Peter : j’ai bien peur que cela ne l’achève, lui qui gardait espoir de me voir un jour fiancé avec lui… »

Mais qui était-donc ce « Peter », bel homme américain ressemblant à Errol Flynn, avec lequel Isabelle entretenait une correspondance, et dont elle avait la photo ?

 

A suivre…

( 10 juin, 2011 )

Nineties : « Puisqu’il fallait bien continuer… » (25ème partie)

« Les anges maudits, les comptables et le père prodigue…« 

chapitre 23 :

Nineties :

L’amour plus fort que tout ?… (3/12) :

« Quel qu’en soit le prix, on ne badine pas avec l’honneur !!!« 

La traction passait non loin de la gendarmerie, ce qui fit sourire Gaston Gerbesah et Barnabé, ce dernier croyant bon de chanter sur l’air d’une chanson célèbre de 1895 :

« Ne dites jamais « mort aux vaches » :

Soyez bons pour les animaux… »

Gaston Gerbesah, rigolant :

« Mais je connais c’t'air-là : ma pauv’Mère me chantait ça quand j’étais p’tiot !

 dans Et mes souvenirs deviennent ce que les anciens en font.

Ce s’rait’y pas « La Pimpolaise », des fois ?!? »

http://www.youtube.com/watch?v=nLCPQoYaus4

Barnabé :

« Oui, mais je me suis permis d’en changer les paroles… »

Gaston :

« Ben, j’avais cru remarquer, oui ! »

Puis il regarde dans le rétro et s’adresse à Isabelle, très soucieuse :

« Et toi, la p’tiote : te fais donc pas de mouron…

Je l’connais bien ton paternel : y va finir par s’y faire, laisse-lui un un peu d’temps, quoi ! »

Barnabé, ironique :

« Je pense qu’en ce Noël de l’an de grâce 1947, on va connaître

 dans Saga familiale

de grands moments de convivialité…

http://www.youtube.com/watch?v=E776XisGHlk&feature=related

En plus, tes parents ont invité ta tante bonne-soeur : ça ne pouvait pas me faire plus plaisir !!! »

Isabelle haussa les épaules.

Elle venait de raconter à Barnabé la « grande scène du trois » qu’elle avait subie la veille avec René, son Père, et Alice, la douce Maman si compréhensive habituellement.

Mais si l’on veut comprendre l’histoire, revenons plus de vingt-quatre heures en arrière, à la « Villa Isabelle »…

Isabelle s’était levée tôt ce matin-là et avait terminé sa toilette.

Dans la cuisine, alors que personne n’était réveillé, elle avait fait chauffer de l’eau pour tout le monde dans le gros « pot-à-bouillon » réservé à cet effet, avait rempli son vieux broc en faïence, puis transvasé dans la bassine assortie de la même matière juste ce qui lui était nécessaire…

La bassine et le broc, datant de la fin du XIXème, lui avait été donnés par mon Grand-Père, seul souvenir de la Maman tant chérie de ce dernier, décédée en 1908, et dont la photo figurait au dessus de la cheminée.

« Charles le catholique », son propre père voulait se débarrasser de ce qu’il appelait des « vieilleries » ayant appartenues à Ludivine et qui lui venait de cette « belle-famille suisse », qu’il tenait pour seule responsable de la mésentente du couple et de la mort dramatique de son épouse…

Voyant que René ne se remettait pas du décès de sa Maman, et peut-être pour se faire pardonner un peu de se servir de son fils qu’il avait envoyé chez les jésuites pour se venger de la branche protestante suisse, il avait gardé ce broc et cette bassine qu’il avait laissé à son enfant, qui traitait l’ensemble telle une « Sainte Relique ».

[Revoir "Les Nineties : puisqu'il fallait bien continuer..." (3ème et 4ème parties)]

Il y avait deux points communs entre Staline et mon Grand-Père : ils devinrent anticléricaux car on tenta de leur imposer une éducation religieuse stricte, et ils furent traumatisés par le comportement assez irresponsable de leur pères respectifs.

Heureusement pour la famille (et pour la France, n’ayons pas peur des mots !), la comparaison s’arrêtait là !!!

Isabelle découpait des tranches de la miche de pain achetée la veille qu’elle s’apprêtait à faire griller. Elle venait de sortir la motte de beurre presque congelé du garde manger.

Cela ne faisait que quelques mois qu’elle avait quitté la maison familiale, mais il lui semblait que son absence avait duré plusieurs années.

Ainsi, elle avait parcouru les rues de Tigreville sur sa bicyclette.

http://www.youtube.com/watch?v=eoHjQs6C4UY

Aujourd’hui, l’air était glacé : le col de son manteau était relevé et l’écharpe qui la couvrait jusqu’au menton n’était pas du luxe !

Malgré le froid et l’hiver rigoureux, elle retrouvait des sensations « d’avant », celle où elle était encore la « jeune fille » qui se promenait quelques mois plus tôt dans cette belle campagne normande, humant la nature aux mille parfums qui se terminait le long des dunes, derniers remparts avant la mer, dont elles définissaient la frontière.

Le vent du large fouettait les visages, donnant un peu de fraîcheur à cet été caniculaire de 1947. Cependant, quelque-chose clochait : il faisait plus chaud dans le Calvados que dans les Antilles !!! Qu’était-il arrivé à Dieu pour créer une telle hérésie ?!?

Toujours fidèle à lui-même, le Père Gerbesah, voisin et ami, avait cru bon d’y aller de son commentaire avisé :

« Ben mes aïeux, faudra qu’on m’expliqu’ pourquoi qu’ c’est toujours les années d’pépies que l’pinard est si bon… Pouvez m’croire, c’année, y va batt’ des r’cords : « le p’tit Jésus va descendre en culotte de v’lours » dans nos boyaux !!! »

Sacré Gaston ! Isabelle adorait sa façon de s’exprimer si naturelle et ne supportait pas qu’au sein de sa famille, un des membres du  »clan catholique de la Mayenne », issu des ancêtres de Charles, dénigre cet homme si gentil et serviable.

Le Frère de Charles n’ayant pas eu d’enfants, Maman n’avait qu’une seule Tante : la demi-soeur « Geneviève », fruit des amours secrètes du papa de René, née dix ans après lui : la bonne soeur évoquée par Barnabé…

[ Revoir : Nineties : puisqu'il fallait bien continuer... (8ème et 9ème partie)]

http://www.youtube.com/watch?v=7eRSwsomVeE

Hortense, une des cousines éloignées de passage que Maman n’aimait guère, se moquait une fois de plus de Gaston.

Pour Isabelle (Maman), ce fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase, elle lui rétorqua :

« Si Gaston a le langage « rustique », comme tu te plais à le dire avec cette suffisance qui te caractérise, c’est qu’il est « authentique », lui !!! Ce n’est pas un hasard si les deux mots ont la rime similaire… Il y a plus de poésie dans son franc-parler que dans la prose ou les écrits de ceux ou celles qui se prennent pour le nombril du monde !!! »

René, essayant de rester sérieux :

Il pense :

(Qu’est-ce qu’elle lui a mis à cette garce, hi-hi !)

Il dit :

« Enfin, ma fille : tu déraisonnes… »

puis, faussement sévère, il ajoute :

« Je ne te permets pas de parler à ta cousine sur ce ton ! »

Isabelle :

« Hortense, c’est ta cousine, pas la mienne !!! »

Isabelle, si douce à son habitude, sortit de la maison hors d’elle en claquant le porte.

Hortense :

« Hum ! C’est agréable… »

Alice, stupéfaite :

« Je suis désolée, Hortense, je ne sais pas ce qu’elle a aujourd’hui ! »

René, assez ironique :

Il pense, parlant de Hortence :

(Elle commence à me les gonfler, celle-là !!!)

http://www.youtube.com/watch?v=CVaUBBH3KZ0 

Il dit :

« Elle a qu’elle grandit, qu’elle s’éveille cette enfant !

A partir d’un certain âge, on devient plus lucide… »

Je ne pense pas qu’on revit cette cher Hortense de sitôt, ni même les autres membres de cette famille exécrable.

Au fil du temps, René devenait de plus en plus bougon et renfermé à la maison, particulièrement depuis « l’épisode des lettres anonymes », qui l’avait rendu méfiant concernant le genre humain.

C’est dehors qu’il trouvait un peu de joie, à l’écart des discutions familiales, sans intérêt à son goût.

S’il n’avait pas eu l’amitié et la complicité de Gaston, il serait un misanthrope pur et dur…

Pendant la guerre, un homme avait manqué de respect à Isabelle, l’alcool aidant. Encore adolescente, elle l’avait répété à son Père qui interpella le gus, souvent aviné du soir au matin. S’en était suivi une dispute puis les choses s’étaient vite envenimées.

René n’était pas bagarreur mais il avait une poigne de fer. Ainsi, il avait soulevé du sol son adversaire, le maintenant au niveau de la gorge. Ce que mon Grand-Père ignorait, c’est que l’autre avait pratiqué la boxe. Il fut donc surpris par un crochet au foie qui lui coupa le souffle et le fit tomber à ses pieds.

Un bruit métallique se fit entendre, René observa les pieds du « boxeur » vaciller avant qu’ils ne soient rejoints par les genoux, puis le reste du corps, comme aimantés vers l’asphalte, qui termina la course de l’ensemble…

Essayant de réguler son souffle, notre pauvre René ne comprit pas tout de suite ce qui se passait, jusqu’à ce qu’il aperçoive notre brave Gaston, une énorme pelle de chantier à la main. Il dit en lui tendant sa main libre :

« Viens t’en, mon René : tu vas choper la crève dans c’fossé ! »

Puis il ajouta en riant :

« On connaît l’appel du Général, on se souviendra de la pelle de Gaston !!! »

René, se tenant le ventre :

« Pfff… Quel couillon !!

T’aurais pu me dire qu’il était boxeur, c’con-là !!! »

Gaston :

« T’es parti tellement vite que même à vélo, j’aurais pas pu te rattraper pour te présenter son pédigré ! »

René :

« Il n’est pas de la première jeunesse mais il cogne dur, la vache… Tu l’as pas tué au moins ? Sinon, je ne te dis pas dans quelle merde on est !!! »

Gaston :

« Pas de première jeunesse ?!? Ha t’es sympa : on est d’ la classe lui et moi !!!

Ha ben tiens : elle s’ réveille « ta belle au bois dormant » !

Tu vois bien que j’l'ai pas tué, c’te sac à vin… »

Plusieurs voisins du quartier firent leur apparition pour aider René.

Lorsque le bonhomme vis la foule, il pris la fuite complètement apeuré en zig-zagant.

René, à la foule :

« Laissez-le partir, en fait, c’est un pauvre type bien plus à plaindre qu’autrechose… »

On ne revit plus cet individu à Tigreville et je ne sus jamais ce qu’il avait dit à Maman.

Mais son regard brillait, avec une petite larme au coin de l’oeil, chaque fois qu’elle me racontait cette anecdote que j’ai entendue une bonne centaine de fois, jusqu’à la fin de sa vie. Elle concluait ainsi :

« Te rends-tu compte qu’il s’était battu pour moi pour sauver mon honneur ?!?… »

 

A suivre…

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