( 16 août, 2014 )

Salle d’attente (3) « Ali, frère de larmes… »

On ne pouvais en vouloir à cette femme qu’on avait imposé à Ali. C’était un mariage arrangé entre deux familles d’Algérie, et elle en était

 

Salle d'attente (3) « Ali, frère de larmes... » dans Salle d'attente.

victime autant que lui.

Je ne savais pas, et toi encore moins, que ton Papa attendait patiemment que nous en ayons fini de brûler la première partie de notre jeunesse, pour t’enfermer dans son carcan… Car pendant que je tentais, fort de mon inexpérience, de construire ce que je croyais être le bonheur, lui t’avais fait glisser tout doucement dans son entonnoir de patriarche depuis le tremplin vertigineux qui te précipita en ton enfer !!!

J’ai assisté à ce mariage. Ton regard, cette braise qui fit fondre tant de femmes et même ces hommes, désespérés qu’en la demeure

 

 dans Salle d'attente.

nous leurs refusions l’accès à nos chakras,

oui, ce regard était sombre, éteint par le désespoir qui ne faisait qu’augurer ce que sera ta vie, à l’écart de la mienne…

Respectant la tradition plus qu’elle ne te respectait, tu n’as pas touché à cette femme avec qui tu n’avais aucun atome crochu et qui, le comble, volait dans les magasins ! Le divorce fut prononcé assez vite, provoquant le courroux d’un père outré qu’un de ses enfants le mette devant le fait accompli en demeure de choisir sa vie…

Mais l’honneur de la belle n’était pas entaché, car en grand seigneur, tu lui avais laissé la possibilité d’épouser un autre, puisqu’elle demeurait vierge…

Rejeté par ton père qui restait rigoriste et blessé dans son orgueil, tu compris que les ponts étaient coupés. Résigné au concept de la solitude, il ne te fallut que quelques pas pour croiser le regard de celle qui, t’aimant en secret, te toisa de son regard depuis la fenêtre d’où elle te dis « bonsoir ». Tu avais en main une vieille valise qui évoquait celle en carton

 

De Linda de Suza.

 

Elle t’a ouvert sa porte, vous avez parlé, parlé et parlé encore, puis l’amour s’est chargé du reste. Vous vous êtes mariés, une petite Amina vit le jour, un caniche abricot vint se mêler au trio qui devint quatuor, car un petit Karim avait pointé le bout de son nez, en 1994. Que tu étais fatigué mon ami, quand nous sommes allés voir le nouveau né que venait de te donner « Marie », ton épouse, à la maternité… Tu devais faire des contrôles passant par quelques prises de sang, et lorsque je t’annonçai que le toubib m’en avait prescrit une mais que je détestais les piqûres d’une manière viscérale, donc que j’allais sûrement « zapper », ton regard me glaça le sang, car il était aussi intense que protecteur, lorsque tu me dis :

 

« Tu plaisantes pas avec ça, et tu la fais, cette putain de prise de sang !!! »

 

Quelques mois plus tard, je devais comprendre le pourquoi de cette réaction spontanée qui venait du cœur et témoignait d’une indestructible amitié…

 

 

25 juillet 2014

 

J’arrive dans le service pour la troisième cure, encore imprégné des souvenirs qui m’étaient revenus vingt et un jours plus tôt. Elle devait être bien déçue ma douce ambulancière, celle de la dernière fois. Le vendredi 4 juillet, on avait assisté à

« la chronique

 

d’une défaite annoncée »…

 

Ho, nous n’avons pas été ridicules. D’ailleurs, peut-on vraiment l’être à « 1-0 » ?

M’enfin, y’en a marre qu’ils soient bons partout, ces fils de Geothe !

Et ils ont remis ça 4 jours plus tard…

« Saint Pelé de la miséricorde », priez en la demeure pour un peuple bien déçu car par le foot soudain déchu !!!

 

8 juillet 2014 : « 7-1 », les larmes du soleil ?!?

 

Cette humiliation, Brésiliens, autres frères de larmes, elle sera votre force pour vous reconstruire, demain…

En attendant, le gars Schumacher, sans penser à Fernande, on devine ce qu’il fait depuis que son équipe a soulevé cette putain de coupe, qui pour nous n’est pas passée loin…

 

Aujourd’hui, il est 09h20. J’ai marché laborieusement dans les couloirs, essoufflé à chaque pas depuis l’ambulance, avant de prendre l’ascenseur salvateur. Le rendez-vous est à 09h40, j’ai encore le temps. A la rigueur, si je suis en retard, qu’importe. La semaine précédente n’avait pas été de tout repos. Le 15 juillet, scanner à 9 heures après deux nuits sans dormir à cracher le sang. A ma grande surprise, on me laisse partir ! O.K., je devais voir Chimiothérapix le lendemain en consultation, mais tout de même…

Quant à l’ambulancière qu’on m’avait affectée, j’avais essayé de lui faire comprendre qu’un patient, ce n’est pas un partenaire

 

Pour s’entraîner

au 100 Mètres !!!

 

M’enfin…

 

Ce qui devait arriver arriva, et c’est à huit heures du soir qu’on me vit au guichet des urgences, à peine capable de respirer, entre deux crises de toux sanguinolentes faisant flipper mon entourage, particulièrement dans ce panel, ceux qui étaient venus pour un petit bobo qui ne relevait que de leur généraliste et pouvait bien attendre…

Ils m’ont libéré à une heure trente du mat. Décidément, ils semblaient préférer, au cas où la Grande Faucheuse m’aurait repérée, qu’elle œuvre au « Mézygues’s Club ».

Alors, je vous dis pas la tronche que j’avais

 

à 10h45 pour la consult !

 

Cinq jour de corticoïdes, sept d’antibiotiques, un corps qui sur la balance fait le « yoyo », juste ce qu’il faut avant de reprendre la prémédication pour remettre le couvert en hôpital de jour, histoire de dérider un peu le cathéter, et je me retrouvais là, dans cette salle d’attente relativement vide.

Tiens, ma belle réceptionniste est de retour ! Hé oui, trois semaines de galères beaucoup trop longues pour moi, trois semaines de paradis beaucoup trop courte pour toi ! Ô incarnation de la douceur…

 

Que dis-tu ?

 

O.K. : je me rends directement dans ma chambre, Chimiothérapix m’y rejoindra plus tard. Punaise, ils auraient pu choisir un box encore plus loin !

J’ai de plus en plus de mal à arquer…

Ho vieillesse et surtout maladie ennemie, n’ai-je vécu que pour cette infamie ?!?

 

Chambre 205, j’y entre en faisant attention cette fois-ci, car j’ai toujours en mémoire cet incident qui put être « diplomatique » et dont je n’étais en rien responsable, car l’ordi du Centre m’en avait affecté une déjà occupée par une patiente musulmane, détail agravant : gorge libérée,

 

car elle attendait mon pote

Chimiothérapix pour examen…

 

« Scusez-moi M’dame !!! », lui avais-je dit assez embarrassé, tandis qu’elle me répondit une phrase dont les outre méditerranéens ont le secret mais que je n’avais peut-être pas trop intérêt à traduire, m’invitant sans nul doute à m’adonner à ces pratiques pas franchement viriles pour un homme qui conforte tant la clientèle taubiresque…

L’infirmière du box, tout juste sortant de la salle de soins, se tenait derrière moi.

« Désolé Monsieur, il y a eu un changement de dernière minute. »

 

Moi, sursautant, mais à voix basse :

« Vous allez me faire sauter le cœur avec vos co… Heu, vos bêtises ! »

 

Je regarde le box du sol au plafond, singeant l’attitude d’un expert d’assurances et dis :

 

« C’est dommage, la déco n’était pas trop désagréable… »

 

Elle, intriguée :

« Pourquoi dites-vous ça ? »

 

Moi, désignant la chambre occupée, parlant toujours à voix basse :

« Il y a certaines cultures que j’évite de chatouiller, vue la conjoncture. Il serait dommage que sur un malentendu, le gouvernement soit obligé de rapatrier mes restes dans sept colis postaux. Parce que, chez les descendants de certains prophètes,

 

côté poilade et ouverture d’esprit,

y’aurait comme une « légère » entrave…

Elle me répondit par un sourire embarrassé avant de m’attribuer un autre espace.

 

Aujourd’hui, aucun problème, la chambre était libre, donc pas de choc des cultures. Il y en avait bien assez comme ça plus à l’est, aux confins de la Méditerranée, relayé par une presse avide d’exhiber des images, toutes plus horribles les unes que les autres, de civils victimes de la connerie humaine, tirages et audimat obligent…

 

Mon pauvre Ali (1958-1994),

si tu vivais encore, je crois que ce serait pour toi pire qu’une deuxième mort, de voir tous ces cons se foutre sur la gueule encore au XXIème siècle, toi si bien intégré sans avoir renié tes origines !!!

Toi qui partageait le couscous délicieux préparé avec tant d’amour par ta Maman, celui à la semoule aussi fine que parfumée des épices d’orient de ta prime enfance, avec les juifs pieds-noirs exilés et les chrétiens qui avaient accueilli dès 1962 les tiens, leur offrant une nouvelle vie faite de la promesse d’un meilleur lendemain. 

 

1994, je ne me rappelle plus le mois, ce devait-être encore en automne, c’est la dernière fois que je devais croiser ton regard en qualité de vivant. Tu étais en chambre stérile aux parois en verre transparent , celle réservée aux leucémiques. Ho, Dieu, les rares cheveux que tu avais sur le crâne étaient gris, tu avais encore trente cinq ans ans et en paraissais ce jour quinze de plus, mais tu étais toujours aussi élégant mon salaud ! Toi, si soucieux de préserver ton image, j’ai cependant vu dans tes yeux, outre la surprise, la gène et surtout la peur…

Des baies vitrées sans teint permettait d’observer les passants qui évoluaient dans l’hôpital sans être vu, au bas de l’escalier qui menait à la chapelle.

Ali, me montrant cet extérieur qui lui était physiquement interdit :

« On a vécu des bons moments, mais le bonheur, le vrai, c’est dehors que je l’ai vu. Dans celui de ce papa qui tient la main

 

de sa petite fille qui mange une glace… »

 

Que le chemin fut long, malgré sa courte vie, avant d’en arriver à cet essentiel !

 

Comme j’ai pensé à toi au pied de ce même escalier, le 15 juillet de cet an de disgrâce 2014 , déposé par un voisin qui m’avait laissé là avec ma Gigi quand mes poumons se sont barrés une fois de plus en quenouille à huit heures du soir ! Il n’avait pas le choix le pauvre, car tous les chemins menant aux urgences étaient bloqués par des barrières électroniques inaccessibles aux « civils ». Je pensais pouvoir faire le reste du trajet à pied, mais arrivé laborieusement non loin de la chapelle, alors qu’il restait facilement

 

cents mètres avant « la ligne d’arrivée »,

j’ai abdiqué et demandé à Gigi d’emprunter un fauteuil roulant à l’accueil…

J’ai regardé en direction de ta baie vitrée d’où très certainement un homme ou une femme leucémique avaient dû observer mon chemin de croix, probablement plus solidaire que les passants qui me voyaient plié, essoufflé, essoré, sans qu’il ne leur vienne à l’idée de simplement me demander si j’avais besoin d’aide…

Et on se demande pourquoi

 

je préfère l’animal à l’homme !!!

 

A suivre…

8 Commentaires à “ Salle d’attente (3) « Ali, frère de larmes… » ” »

  1. Comment te dire mon plus sincère soutien Jean-Jacques,les mots sont si limités,reçois le plus pur de mes pensées,
    sommes-nous si proches par tout l’incroyable de leur pouvoir,
    très bonne journée à toi.

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    • Salut Loïc,

      Merci ami !!!

      Je compose avec les événements et pleins de souvenirs me reviennent, mais il paraît que tant que ma vie ne défile pas en quelques secondes, faut pas vendre la peau de l’ours car il est loin d’être enterré… ;)

      Bonne soirée et si on ne se contacte pas avant, bonne semaine !!!

      Amitiés,

      Jean-Jacques.

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