« Les anges maudits, les comptables et le père prodigue…
Chapitre 37

« Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ?!? (4/6)«

« Chimène : du rêve à la désillusion, et puis… »
Première Partie (Acte 1 & 2)

Prélude en « Blaise mineur » :

Blaise, regardant avec admiration l’huître qu’il tenait délicatement dans sa main :
« Dans ce monde où j’ai quand même fait les cents pas, il n’est que deux questions…
Est-ce que je mange des huîtres parceque j’aime le vinaigre à l’échalote ?
Aimerais-je les huîtres s’il n’existait pas le vinaigre à l’échalote ? »
Staline, lui reservant une larmichette de Muscadet :
« Ce monde où t’as fait les cents pas : ne « sont-ce pas » tous les troquets qui jonchent la route qui sépare ta Seine Saint Denis de mon rade ?«
Tandis que Blaise haussait les yeux, Gaston semblait loin de tout, étalant distraitement une noix de beurre sur sa tartine de pain de seigle à l’aide de son couteau : un vieux Laguiole archi-aiguisé qui lui venait de feu son Père.
Staline à Gaston :
« Mais dis-moi, « ma vieille » : tu serais pas en train de virer jaloux ?!?
N’aie crainte, notre Chimène va bien finir par te le rendre ton René ! »
Gaston, émergeant :
« Hein ?!? »
Blaise, après avoir avalé une gorgée de muscadet :
« Chimène, c’est une guerrière, pas une croqueuse d’hommes !
Mais, imaginons le destin croisé de ces deux-là :
j’y vois le sujet d’une pièce de théatre, aussi belle que dramatique… »
Staline, presque gémissant :

« Ben nous v’la beau : v’l'a qu’y’ s’prend pour Sacha Guitry maint’nant ! »
Gaston, séduit par l’idée de Blaise, frappe les trois coups avec le manche en bois du couteau familial sur la table :
« Et le rideau s’ouvre, vas-y mon Blaise :
« Si Chimène et René nous étaient contés » !
Ce que nous ne savons pas, nous le devinerons, quitte à l’inventer… »
A ce moment, la splendide Marceline entra dans la cuisine, faisant l’admiration des trois compères :

« Vous m’avez appelé,M’sieur Joseph ?!? »
Staline, avec un regard tendre qu’on ne lui avait jamais connu :
« Non, mon petit…
Ces Messieurs ont décidé de faire du théatre et comptent donner leur première représentation, en exclusivité dans notre modeste demeure ! »
Marceline, petit sourire aux lèvres :
« Je peux rester, dites ? J’aime tant le théatre !!! »
Blaise, définitivement sous le charme :
« Ho, mon Dieu !…
(Joseph tique à cette évocation )
Hum-hum…
(Blaise prend soudain l’apparence d’un orateur)
Enfin : comme on disait jadis au sein de ce peuple opprimé et soumis, en invoquant celui qui représente le suppôt des idoles de cette « Réaction » qui nous outrage…
(Joseph fait un signe d’approbation, sourire aux lèvres)
Je ne crois pas qu’on puisse te refuser, Ô camarade, et avec de si beau yeux, le droit d’assister à une création qui se veut populaire

et accessible à la masse laborieuse !!! »
Staline applaudit des deux mains, tandis que Gaston se tient le front, assez consterné.
Staline, offrant une chaise à Marceline :
« Bien sûr que tu peux rester, ma petite fleur…
De toute façon à cette heure-là, ceux qui dans le bar ne sont pas bourrés, becquettent tranquillement chez « Bobonne »…
« Puis aux deux :
« Alors : on la commence cette pièce ?

Au temps du camarade Molière,
faire poireauter une gonzesse, c’était pas réglo !!! »
Blaise, prenant un air précieux et s’adressant à la belle :
« Môssieur voulait dire qu’on ne fait pas attendre les Dames… »
Staline :
« Oui ben : magne-toi !!! »
Blaise, moqueur :
« Demandé si gentiment… »
Acte 1

Imaginez Paris en 1921.
Nous sommes dans le salon très finement décoré de l’hôtel particulier d’une richissime rentière, veuve depuis peu, Suisse et protestante depuis toujours : nous l’appellerons

« Tante Rose-Aimée ».
Loin de porter ses soixante-dix printemps, elle n’est autre qu’une des soeurs de la Grand-Mère de René, tante de Ludivine, cette Maman rebelle tant chérie, partie beaucoup trop tôt alors qu’il n’avait pas encore huit ans.
Rose-Aimée recevait pour le thé quelques amis.
S’adressant à l’une de ses invités :
« Ma chère Eudocie, j’ai le regret de vous le confirmer : ces écclésistiques ne sont que des imbéciles, doublés de rétrogrades !!! »
Eudocie, se signant :
« Sacrilège !!! »
Rose-Aimée :
« Les tenues et les moeurs se libèrent ? La belle affaire… Il était temps, non ?!? »
Charles-Clément, ex-capitaine et député à la retraite, mari d’Eudocie :
« Comme vous y allez, ma chère… »
Rose-Aimée, mimant le geste d’un cavalier donnant la charge :
« Tel un soldat, sabre au clair mon ami ! Lorsqu’il s’agit de liberté : la rédition n’est pas mon credo !!!
Est-ce parceque ces « culs bénis » n’ont jamais accepté, il y a seize ans (déjà ?), la séparation de l’Eglise et de l’Etat qu’ils se vengent comme ils peuvent, en s’attaquant à ces femmes dont j’admire le courage novateur ?!?
Si nous n’avions dû écouter que ces évèques, dont la vie ne se limite du reste qu’à de sombres manuscrits poussiéreux et périmés depuis la nuit des temps, l’éternel féminin n’aurait jamais évolué d’un pouce depuis deux mille ans… Que dis-je ? Cinq-mille ans !!! »
Eudocie :
« Car vous appelez ces moeurs païennes scandaleuses une « évolution » ?!? »
Rose-Aimée :
« Le scandale n’est qu’une composante à géométrie variable, qui se bonifie ou se déprecie avec le temps : laissons ce dernier faire son oeuvre…
Chez les chrétiens, la femme n’est que l’ombre de celui qu’elle épouse et qui lui est imposé. Son seul droit est celui de se taire !
Remarquez, chez les laïcs, ce n’est pas mieux… Car nous ne sommes rien moins que des »meubles » que l’on achète à coup de dote, juste bon à multiplier une espèce dans la douleur de l’accouchement et de la servitude, pour ne pas dire de la soumission !
Eve, la première d’entre-nous si l’on en croit les écrits, fut celle qui osa poser innocemment la première stèle d’un édifice qui devait inspirer plus tard un mot : »Révolution » !!!
Bien avant les Danton et Robespierre… »
Charles-Clément, interloqué :
« Ventre-saint-gris !!! »
Rose aimée, reprenant :
« Ne vous offusquez pas, mon cher capitaine, et reprenons l’historique en dehors de tous préjugés judéo-chrétiens…
Eve ne fut-elle pas le premier être vivant à oser braver une autorité que bêtement on essayait de lui imposer ?
Et ce fruit, franchement : à par ces évèques : qui s’en soucit aujourd’hui ? »
Eudocie :
« Vous savez bien qu’il ne s’agit pas du fruit en lui-même, mais du symbole qu’il incarnait… »
Rose-Aimée :
« Un interdit posé là, sans autre forme d’explications, bien avant les tables livrées à Moïse ?!?
Si on lui avait expliqué le pourquoi du comment, Eve aurait compris ! Elle n’a jamais été plus bête que son autre…
Et tant qu’à sortir une loi, Dieu aurait dû commencer par interdire le meurtre, au lieu de se polariser sur cette stupide pomme… Franchement !!!
La curiosité, la gourmandise, le doute seraient-ils plus graves que d’ôter la vie à un semblable ?!?
En définitive, ce qui n’a pas plus à l’Eternel n’est pas le « péché » en lui-même, mais le fait que la femme, déjà, refusait d’être soumise sans condition…
N’est-ce pas ce que l’on appelle chez les humains mâles »un orgueil mal placé » ?
Et »le pardon », ce « détail » de la bible qu’il nous ordonne de pratiquer pour tout ceux qui nous offensent, Dieu s’en était-il exempté ce jour-là ?!?
Il faudrait donc que nous appliquions dans nos tristes vies de mortels ce que le divin n’a pas voulu faire pour Eve et Adam…

Je le note au passage !
Eudocie, joignant les mains et regardant le plafond :
« Seigneur, préserve-nous de tous ceux et celles qui veulent réécrire la Sainte Bible !!! »
Rose-Aimée à Charles-Clément :
« Mais, Réfléchissons plus avant…
Qu’en serait-il de vous, pauvres hommes, si nous n’étions pas ce piment, ce pavé dans une marre trop calme qui fit bouger tant de choses depuis tant de siècles, et inspirèrent tous les poètes ?!? »
Charles-Clément, tiquant :
« Mais qui occasionnèrent quelques guerres sanglantes au passage, les poètes n’ayant pour baïonnette qu’une plume, ce qui les exposent beaucoup moins qu’un fantassin en première ligne… »
Eudocie, scandalisée :
« Vous déraisonnez ma chère, et votre réquisitoire, si astucieux qu’il soit, ne saurait égarer mon jugement !
Vous cautionnez-donc ces danses où la femme se donne en pâture de manière animale et sans pudeur à des hommes en rut , aguichés par ces tenues de dépravées qui relèguent la gent féminine à des filles de petite vertue !!! »
Rose-Aimée, lassée :
« Je me suis toujours demandé pourquoi, avec une telle ferveur et ce sens obtu moralisateur , vous n’étiez jamais entrée dans les ordres, ma chère Eudocie : quelle recrue de choix eussiez-vous faite pour ces évèques, qui sont à la religion ce que le gardien est à la prison et l’huile de foie de morue à nos intestins… »
Eudocie avale de travers une bouchée de madeleine qu’elle venait de tremper dans son thé, tandis que Charles-Clément ne pouvant retenir son hilarité lui tape sur le dos.
Il dit :
« Diantre, que n’ai-je eu dans mon parcours un aide de camp ou un conseiller au verbe aussi efficace et affûté que le vôtre, mon amie…
Mon destin, pour ne dire ma carrière, en fut bien différente… Peut-être même le destin de la France !!! »
Marie-Aimée :
« Je crois savoir que votre carrière militaire ne fut pas de tout repos… »
Charles-Clément :
« Hum !
Je ne souhaite à aucun soldat de carrière

d’avoir eu vingt ans et plus en cette sombre année 1870 !!! »
Il marque un temps d’arrêt, puis reprend avec beaucoup de tristesse :
« Que n’ai-je été occis à Sedan dans cette ultime bataille, blessé aux côtés de mon maître : le Maréchal Mac Mahon…
La France, si grande qu’elle fut, n’était plus qu’une ombre !

Et de voir notre Empereur faire profil bas devant Bismarck : cet ennemi si calculateur et arrogant, je ne devais jamais l’accepter !!! »
Rose-Aimée :
« Je vous sais monarchiste : votre rattachement date-t-il de cet épisode douloureux ? »
Charles-Clément :
« Douloureux en effet, car nombre de mes camarades en détention moururent de mauvais traitements, de faim, de froid et d’humiliations !!!
Le bonapartisme étant définitivement mort, il ne me restait plus que l’espoir de pouvoir un jour laver l’affront en servant un Roi qui redonnerait à la France, outre l’Alsace et la Lorraine perdue, sa splendeur, sa gloire et son renom !!!
Hélas, des blessures encore plus douloureuses devaient m’être infligées une année plus tard, occasionnées non par les Prussiens, mais par nos propres concitoyens :

les « communards », serpents que nous réchauffions dans notre sein !!!
Lorsque j’ai entendu cette chanson :
http://www.youtube.com/watch?v=U_W0B6aUt3E
« le temps des cerises » (leur chant de ralliement),
je n’ai pas vu le danger venir de derrière les barricades, croyant avoir à faire à de doux rêveurs…
Elles eurent pourtant raison de cette jambe droite que je traine depuis, chaque jour que Dieu fait, tel un boulet :
le glas en quelques secondes d’un avenir « réparateur », que j’espérais encore glorieux, armes à la main…
Le Maréchal Mac Mahon, ce père spirituel à qui je me donnais corps et âme, m’ayant tout juste promu capitaine, n’oublia jamais son fidèle serviteur et m’encouragea à la députation depuis mon lit de douleurs.
Certes, c’était une façon édulcorée de servir la France, mais je restais malgré tout un des fidèles commis de cette nation qui m’avait tout apportée : j’en retirais une grande fièreté, à défaut de n’avoir pas eu celle de mourir « dignement » pour elle ! »
L’un des invités qui avait écouté avec beaucoup d’intérêt le récit de Charles-Clément sortit de son silence, le verbe ponctué d’un accent profondément Russe :

(il roule les « r »)
« Révolution, bah !
Bolchéviques : bêtes sauvages sans noblesse et sans honneur…
Eux avoir éxécuté Tsar bien-aimé Nicolas II avec famille !
« Pitit » peuple, depuis, mourir de faim :
moi pas les plaindre, au contraire les maudire jusqu’à treizième génération !!! »
Rose Aimée :
« Maudissez, si ça vous défoule…
Mais pensez-vous, mon cher Boris, que pour nos rentiers qui avaient tout misé sur les fameux emprunts russes, ce fut la volupté suprême ?!?
Beaucoup se sont retrouvés à prendre leur repas chez les petites soeurs des pauvres, du moins ceux qui n’avaient pas eu le réflexe (le courage, voire la décence) de se suicider, chose assez naturelle dans notre milieu après quelques visites d’huissiers dont la délicatesse n’est pas le fort…
Cet imbécile de neveux que j’ai par alliance, « Charles le Catholique », perdit la moitié de sa fortune dans ce périple !
Hélas : il lui en reste bien assez pour continuer à vivre son existence de frivole… »
Eudocie, ayant enfin avalé sa madeleine et repris son souffle :
« Comment se fait-il que vous n’avez jamais aimé le mari de feu votre nièce Ludivine ? »
Rose-Aimé :
« Je sais dès le premier regard si une personne est bonne ou mauvaise.
Ce que j’aimerais parfois me tromper, mais le temps me donne toujours raison, hélas, comme il le fit pour cette baudruche… »
Eudocie :
« Que fit-il pour motiver tant de haine en votre endroit ?!? »
Rose-Aimée :
« Que fit-il ?
Des choses qui ne se disent et surtout ne se font pas chez des gens de notre qualité…
Des choses pour lesquelles une simple femme ne peut demander justice, dans ce monde où seul l’homme a tous les droits !

Ludivine était des toutes mes nièces ma préférée.
Aussi belle que naïve, elle était touchante de sincérité. Mon imbécile de beau-frère décida de la marier avec ce « nouveau-riche » catholique plus âgé qu’elle, mais qui semblait être un bon parti…
Voyant le personnage, je sus instantanément, connaissant ma petite Ludivine si romantique, celle que j’avais tenue tant de fois sur mes genoux, que ce mariage ne ferait jamais son bonheur.
La seule chose qu’il fit de positif dans sa triste vie porte le nom de « René », ce petit neveu sur lequel j’ai reporté tout l’amour que j’avais pour sa Maman ! »
Eudocie :
« Je vous trouve bien sévère, car le bonheur, l’amour, ça se construit avec le temps. »
Rose-Aimée :
« Eudocie, vous êtes incroyable !
Ainsi, « bonheur » et « amour » ne s’obtiennent qu’à l’usure ?
Comment n’y avais-je pas pensé avant, que ne l’ai-je dit à Ludivine sur son lit de mort quand ce siècle avait huit ans et je s’essuyais les yeux de son petit René… »
Eudocie :
« Partir aussi jeune, c’est bien triste !
Mais de quoi est-elle morte en fait ? »
Charles-Clément, à Eudocie :
« D’avoir probablement oublié de respirer, tout comme vous oubliez d’être discrète…
Dites-moi, ma chère et tendre épouse, je pense qu’un repli stratégique serait de bon aloi avant que vous ne sortiez les pièces d’artillerie, sans vouloir faire offense à notre délicieuse Rose-Aimée, qui nous reçoit avec tant d’amabilité ! »
Eudocie, prise de court, s’apprétait à répondre, lorsque l’on sonna à la porte…

Hector,
le fidèle majordome qui venait de répondre , s’adressa à Rose-Aimé en ces termes :
« Monsieur René, votre neveu, demande audiance. »
Les convives prennent congé…
Acte 2

René, désespérément triste, tenant une valise à la main :
« J’espère ne pas avoir gâché votre réception, ma Tante… »
Rose-Aimée :
« Pose-donc cette valise et viens m’embrasser !
Et combien de fois faudra-t-il que je te le dise, mon petit, de me tutoyer ?!?
Cesse-donc d’utiliser ces apparats de nouveaux riches qui ne les rendent que plus vulgaires !
Le fait d’avoir vouvoyé l’auteur de tes jours en fait-il quelqu’un de plus respectable à tes yeux ? »
René, arborant un sourire légèrement sadique et posant sa valise :
« Hum-hum…
J’ai eu enfin le courage de dire à cet erzatz de mondain ce que je pensais de lui : ce fut effectivement à la « deuxième personne du pluriel » !
Quelle délectation !!!
Après avoir failli en venir aux mains, nous sommes au moins tombés d’accord sur un point cruxial :
aucun de nous ne veut plus entendre parler de l’autre.
Ainsi, je me retrouve à la rue, avec pour tous souvenirs ceux que j’ai entassés dans cette valise, sans situation et sans argent, mais libéré de ce despote, dont mon seul regret est d’avoir eu la malédiction de l’avoir comme géniteur !!! »
Rose-aimée :
« Que de violence et de mépris ont muri dans ton âme meurtrie, mon petit, pour que tu en arrives à dire de tels propos !
Tu étais, je me le rappelle comme si c’était hier, le plus doux et le plus effectueux des petits garçons,

lorsque tu venais te serrer dans les bras de ta Maman et les nôtres… »
René, le regard dans le vague :
« C’était avant… Avant cette année maudite… »
Rose-Aimée, intriguée :
« Tu veux dire celle de la mort de ta Maman…
Que t’en rappelles-tu au juste ? »
René :
« La nuit qui fut à l’origine du drame, j’ai tout entendu ! Je sais ce que fit cet être ignoble en toute impunité, et ce pourquoi Maman m’emmena dans ses bagages dès le lendemain pour venir se réfugier chez vous…
(Rose-Aimée fronce les sourcils – en rapport avec le vouvoiement -)
Heu : chez toi, ma Tante.
(Le regard de Rose se fait plus tendre et complice)
Par contre, il m’a fallu du temps pour réaliser de quoi Maman était réellement morte, et pourquoi j’avais été placé chez les Jésuites dès l’âge de huit ans en pension : un acte désespéré irréversible d’un côté, une vengeance pour punir le »clan Suisse Protestant » de l’autre, et moi au milieu !!! »
Rose-Aimée, la larme à l’oeil, embrassant le front de René :
« Mon pauvre chéri ! Tu connaissais donc toute l’histoire depuis le début ?!? »
Elle hésite, puis reprend :
« Je dois te faire un aveu, même si tu dois me maudire pour le restant de tes jours… »
René, décontenancé :
« Comment pourrais-je te maudire, ma Tante bien-aimée, toi qui fut si bienveillante avec Maman et lui avait redonné le goût de vivre ?!? »
Rose-Aimée, essuyant ses larmes avec son mouchoir en soie :
« Vivre ?
Tout est là…
Il ne se passe pas une nuit où je ne pense à la mort de ma petite Ludivine, et dire que ton père en est le seul responsable serait bien pratique si j’étais totalement dépossédée de conscience…
Il en est autrement !
En voulant respecter le choix de Ludivine, je l’ai guidée vers cette sorcière qui extirpe les vies non souhaitées, dans ces salles aussi osbcures que sordides !!!
Si nous avions toutes accepté, elle la première, de laisser naître l’enfant qu’elle attendait suite à cet évènement indésirable, elle serait très certainement encore en vie, et tu aurais un frère ou une soeur qui aurait treize ans cette année… »
René, prenant la main de sa Tante :
« Avec les « si », on mettrait Paris en bouteille. Quelle serait son existence aujourd’hui ?
Elle serait bien malheureuse, enfermée entre les quatre murs des geôles de ce tyran, ne la considérant pas plus qu’un meuble qui aurait un ventre, statut bien commode pour le phallocrate qu’il fut toujours et ne cessa jamais d’être !!!
Cette vie-là vaut-elle d’être vécue ?!? »
Rose-Aimée :
« Malgré ce que je viens de t’avouer, tu ne m’en veux toujours pas ?!? »
René :
« J’en veux à Dieu, à la société bien-pensante qui a fait son nid autour, au monde entier et surtout : j’en veux à cet être méprisable qui fit le malheur de Maman !!!
Mais surtout pas à toi qui pensait bien faire…
Mes plus beaux souvenirs d’enfant, ceux qu’on ne me volera jamais et qui sont restés ancrés dans mon âme, c’est le sourire, le visage rayonnant de bonheur de Maman lorsqu’elle était entourée de ton affection et de celle de mes cousines.
Avec vous, j’étais un petit prince,

« votre petit prince »,
celui que vous emmeniez en Normandie pendant les vacances et qui voulait vous nourrir uniquement du fruit de ma pêche, tu t’en souviens ? »
Rose Aimée serre René sur son coeur dans une longue étreinte. Celui-ci lâche enfin une parole :
« Ma Tante, tu m’étouffes !!! »
A cet instant, quelqu’un sonne à la porte.
Rose Aimée à René :
« Décidément, ma demeure ressemble de moins en moins à un hôtel particulier : ça devient un moulin où tout le monde vient me voir !!! »
Hector, dans toute la splendeur de son statut de majordomme, annonçant le visiteur :
« Monsieur Théophraste Bonneville !!! »
René, ne pouvant retenir son hilarité, chose si rare chez lui :
« Mais où l’avez-vous trouvé celui-là ? Ne me dites pas que vous avez débauché un des huissiers de la chambre des députés : il en a tout à fait le profil !!! »
Rose-Aimée, au regard trop tendre pour que son autorité soit crédible :
« Veux-tu te taire, mon neveu !!! Nous parlerons de cela une autre fois !!! »
René, moqueur :
« Bien ma Tante… Mais qui est donc ce visiteur au prénom si bizarre ?!? »
Le visiteur qui venait juste d’être introduit dans le salon, parodiant le ton d’un tragédien :

« Bizarre, vous avez l’avez remarqué aussi ?
Une lubie de feu mon parternel, un homme admirable dont le principe de base se fondait sur une théorie : « chaque être humain doit se construire tout seul ».
J’ai essayé de mettre en pratique cette théorie : me suis hélas raté… »
Rose-Aimée :
« Vous êtes trop modeste, mon cher, car vous êtes le photographe le plus sollicité de Paris !
Votre statut est loin d’inspirer la pitié. »
Théophraste :
« Certes, mais il me faut travailler pour vivre, ce qui ne s’était pas produit dans ma famille depuis quelques générations… »
Rose-Aimée :
« Quelle époque vivons-nous, car dans quelques temps, nous en seront tous là !
Ha, ce XXème siècle ! Il ne me dis rien de bon.
Nous n’en n’avons même pas épuisé le quart, et déjà un million trois cents milles morts pour la France !
Et combien d’estropiés ?!?
Certes, nous avons effacé l’avanie de 1871 au travers de cette guerre mondiale. Nous avons récupéré l’Alsace et la Lorraine, prouvant que le « vaincu d’hier » pouvait devenir le « vainqueur de demain ».
Chaque combattant français tombé pour la Patrie se voit glorifié depuis le mois de novembre (1920), grâce à ce « soldat inconnu » dont la tombe n’est autre que l’Arc de Triomphe… Par le fait, nous avons redonné à notre armée le symbole de son prestige et son honneur par de prestigieuses funérailles !… »
Théophraste :
« Mais ?!?
Car il y a un »mais », je suppose… »
Rose-Aimée :
« Vous lisez en moi comme un livre ouvert (elle sourit d’un air coquin) : ça en devient presque indécent !
Mon intuition, mon expérience, me disent qu’il ne faut pas mépriser à outrance un vaincu, car il vous le fait forcément payer un jour ou l’autre.
Mais je dois vous assommer avec mes discours, parlons d’autre chose…
Quel était donc l’objet de votre visite, ami de toujours ? »
Théophraste :
« Hum…
Je suis venu me changer un peu les idées, car ma fille Chimène a eu raison de la patience de mon dernier employé, qui a claqué la porte de mon magasin, comme tous les autres, d’ailleurs. »
Rose-Aimé :
« Sacrée Chimène, malgré son jeune âge : c’est une maîtresse femme…
Mais alors : quel carractère de cochon !!! »
Théophraste, désespéré :
« Ho-là ! Je désespère de la marier un jour.
Ma fille unique risque bien de terminer, et ça me désespère, vieille-fille… »
Rose-aimée :
« Quel dommage,

elle a pourtant hérité de la beauté et du charme de sa Maman, feu votre épouse. »
Théophraste, soupirant :
« Si elle avait pu hériter de sa timidité, ça m’aurait fait quelques vacances et je ne serais pas à la recherche d’un nouvel employé… »
Rose-Aimée, regardant en direction de René :
« Pour l’employé, je pense avoir l’ébauche d’une solution. »
Théophraste, une étincelle dans le regard :
« Diantre ?!?
Vous me sauveriez la vie, ma chère, et j’en serais votre éternel abonné !!! »
Rose-Aimée, tenant la main de René :
« Ce mien-neveu se trouve dans une situation on ne peut plus délicate et cherche du travail… »
Théophraste, dubitatif :
« Le fils d’un rentier opulent au service d’un humble artisant ?!?
Ce serait le monde à l’envers !!! »
René :
« Monsieur Théophraste : dites-vous bien que le fils de quelqu’un n’est personne en vérité, du moins tant qu’il n’a pas fait ses preuves au sein de la société, en gagnant honnêtement son pain et son gite par le fruit de son travail, gagnant aussi son indépendance !
N’était-ce pas là cette théorie défendue avec tant de sagesse par Monsieur votre Père ? »
Théophraste, surpris :
« Assurément…
Bien…
Très bien…
Heu…
Si vous acceptez cet emploi, vous serez amené à recevoir des ordres, voire des remontrances (dans le pire des cas) de ma part, en qualité de simple employé :
en avez-vous conscience ? »
René :
« Croyez-vous pouvoir faire pire que ce que m’ont imposé les Jésuites pendant toutes ces années ? »
Théophraste :
« Fichtre non !!!
Reste à savoir si vous passerez…

L’épreuve ultime… »
Bientôt la suite de la 39ème partie : Actes 3 & 4 plus l’épilogue (de la pièce, non de ma saga familiale, qui est loin d’être terminée).