« Les anges maudits, les comptables et le père prodigue…«
Chapitre 34
« … Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ?!? (2/6)«
http://www.youtube.com/watch?v=puc3e83fmBU
« Gaston, René, les jeunes copains si prometteurs du vieux Lazare et les autres… »
« Y’a pas à dire : même avec ce temps de vérole, la mer c’est toujours aussi bath ! »
Ainsi parlait Gaston à son ami René, qu’il avait enfin réussi à extraire de cette profonde tristesse qui était la sienne depuis de départ d’Isabelle, prétextant d’avoir besoin de son aide pour transporter le ravitaillement du soir et l’ayant embarqué dans sa bonne vieille Traction Avant Citroën.
Les deux longeaient la Manche en suivant cette route qui était devenue, dans les esprits d’un Peuple à peine sorti de son traumatisme, le guide du »patrimoine de l’histoire de France » et surtout du « Monde Libre ».
Ces plages qui avaient accueilli le débarquement salvateur, trempées de la pluie hivernale de ce 31 décembre 1947, n’appartenaient déjà plus à la Normandie mais au reste de l’Humanité, qui ne cessera dès lors d’y effectuer chaque année des pèlerinages au nom du « plus jamais ça ! »…
René, dans un soupir rythmé inconsciemment sur le léger couinement de l’essuie glace :
« Dis-moi mon bon Gaston, en singeant la « nouvelle vague » dont tu utilises le vocabulaire : tu nous f ‘rais t’y pas un petit retour d’âge, ma poule ? »
Gaston, le sourire compatissant :
« Ho ! Toi, t’es de nouveau »chagrin » à c’t'heure…
A toutes fins utiles, j’te signale que la marmaille ne dit plus « bath »
mais « swing » !
C’est comme qui dirait l’conflit des générations qui se perpétue, avec la bénédiction des amerloques.
Ils se sont invités dans le débat et m’est avis qui z’ont pas fini d’faire des entailles dans notr’ culture, ces oiseaux-là :
k’ek’ t’en pense ma denrée ? »
René :
« Dis-toi bien mon brave « Gastounet » qu’avec tout ce qui m’est arrivé sur le paletot, ça fait un moment que je ne pense plus : ça me fatigue !!!
Mais pour revenir à ton sujet, je suis assez d’accord avec toi.
Tu me permettras cependant de mettre un « léger » bémol à ton entousiasme, au nom de tous ceux qu’on a envoyé se faire repasser « la fleur à la sulfateuse » :
la mer, c’est beau, mais exclusivement en temps de paix, et c’est pas les Tommy qui te diront le contraire ! »
http://www.youtube.com/watch?v=EchU-2S4SwA&feature=fvst
Gaston :
« T’es philosophe !!! »
René :
« A mes heures…
Dis-donc, vieux gars :
au lieu de te payer ma fiole, dis-moi ce qu’on est venu chercher à matin »
Gaston :
« Ben, je me suis dit que pour le nouvel an : quelques boutanches et un bon traitement à base d’iode, ça nous f’rait pas d’mal aux boyaux !
Z’ont dit à la T.S.F. que pour survivre à une guerre atomique (et c’est ce qui nous pend au nez dans les prochaines années quand les ruskovs auront chouravé le mode d’emploi !), y’a pas meilleur remède…
Alors ni une ni deux : j’ai commandé un bon plateau de fruits de mer chez « Staline » !
Paraît qu’y nous attends de pieds ferme, heu l’gars … »
René « faussement » naïf :
« Ha ben ? T’aurais dû me le dire plus tôt : j’aurai prévenu ma p’tite Alice que je s’rai pas rentré ce soir, mis ma plus belle cravatte et emmené du rechange, parceque Moscou, c’est pas la porte à côté à c’qu’on m’a dit !
Et pour le carburant : t’as prévu suffisamment de jerricans ?!?
(Il fait semblant de chercher)
Ils doivent être dans l’coffre : j’les vois pas ! »
Gaston, »faussement » consterné :
« T’as oublié de prendre ton tilleuil cette nuit ou bien ?!?…
On va chez le Père « Jojo », couillon : notr’ vieux pote qui tient le café sur le port ! »
René :
« Hé-hé, c’est pourtant vrai : ce bon Joseph !
Quand je pense qu’il est tellement « coco » qu’il a applé sa turne »Le Potemkine » : fait le faire !!!
Du point de vue local, j’connais des autochtones qu’ont pas fini de développer des ulcères à l’estomac, et sans regarder bien loin : nos camarades socialos du Conseil Municipal, pour ne parler que d’eux.
Heu… La tronche des Tommy à la prochaine commémoration : je ne louperai ça pour rien au monde ! »
Gaston :
« Pfff ! Tu sais, moi : la politique…
A ce propos : si tu pouvais éviter de froisser la suceptibilité des clients de Jojo, ce s’rait sympa pour nos abattis !
Parceque la dernière fois, avec son sens inné de la répartie : on a frôlé la troisième guerre mondiale !!! »
René, levant les yeux au ciel :
« Ha ! Ses clients ?!?
Tu veux dire sa milice, oui…
Excuse-moi de te demander pardon, mais je l’ai mis suffisamment en veilleuse pendant quatre longues années pour ne plus me laisser marcher sur les arpions, encore moins par ces apprentis dictateurs qui font passer « la doctrine » avant le patriotisme !!! »
Gaston, fronçant les sourcils :
« Et c’est reparti !
Bon, tu fermes ton clapet : on arrive… »
Au même instant à Paris, Monsieur Lazare, le voisin retraité ami d’Isabelle et Barnabé, les recevait dans sa modeste mansarde. Entre deux souvenirs, il rendait hommage à Tristan Bernard qui avait eu la mauvaise idée de tirer sa révérence quelques jours plus tôt, le 7 décembre à 81 ans, en déclamant un de ses traits d’esprit avec émotion :
« Peut-être que je serai vieille,
Répond Marquise, cependant
J’ai vingt-six ans, mon vieux Corneille,
Et je t’emmerde en attendant. »
Barnabé, hilare :
« Pauvre Corneille, il aura été assassiné deux fois dans cette histoire…
Dommage que Tristan Bernard n’ait pas été compositeur : il aurait pu mettre tout ça en musique ! »
http://www.youtube.com/watch?v=CDG9lW8M72k
Le vieux Lazare :
« Cela viendra, et peut-être plus vite qu’on ne pense.
J’ai parmi mes connaissances par mal d’artistes en devenir, férus de musique et de littérature, qu’une telle idée pourrait séduire. Un en particulier aurait le talent pour le faire.
Il faudrait que je vous présente…
C’est un personnage très sauvage, assez bourru, profondément anticlérical et anarchiste.
Malgré tout cela, Georges (c’est ainsi qu’il se prénomme) gagne à être connu, à défaut d’être « reconnu »…
Car il s’obstine, l’animal, à vouloir faire une carrière d’écrivain, ce que je trouve dommage !
Certes, il a un beau brin de plume mais personnellement, je le ressens plutôt comme un poète…
Il a composé quelques chansons très agréables à l’oreille mais cet olibrius ne cesse de répéter que la chanson n’est qu’un art mineur !!!
Un public capable d’écouter et d’apprécier un tel artiste ne sera jamais mineur, sa remarque est donc complètement idiote !
Ho ! Il n’a que vingt-six ans, l’avenir lui appartient encore, souhaitons qu’il trouve sa voie, et qu’on puisse entendre sa voix, qu’il a très belle du reste…
Isabelle :
« Pour revenir à Corneille, il semble qu’il ait fait du temps qui passe une sorte de délire obsessionnel.
Dans « Le Cid », il n’était âgé que trente et un ans lorsqu’il écrivit :
« Ô rage ! Ô désespoir ! Ô vieillesse ennemmie !
N’ai-je donc vécu que pour cette infamie ?
Et ne suis-je blanchi dans les travaux guerriers
Que pour voir en un jour flétrir tant de lauriers ? »
Le vieux Lazare :
« C’est le problème des tragédiens : ils ne voient que le côté obscur et torturé des choses.
En fait, leur vie n’est qu’une longue agonie… »
Barnabé :
« Finalement, avec des gens de cet acabit, pas besoin de fusils ni de bombes. On les aurait envoyé au Front de l’Est, les soldats allemands se seraient tous suicidés pour échapper à cette promiscuité ! »
Le vieux Lazare, le regard pétillant :
« Décidément, vous me plaisez de plus en plus, jeune homme…
Soyons fous mes amis…
Ce soir, je vous invite tous les deux à réveillonner avec moi : je vous montrerai la Capitale telle que vous ne l’avez jamais vue, ce « Panam » où se terrent les artistes qui feront le monde de demain : celui qui sera le vôtre, chanceux que vous êtes !!! »
Barnabé, surpris :
« On ne voudrait surtout pas vous déranger ! »
Le vieux Lazare :
« Allons-allons : laissez-vous faire mes enfants, ça me fait plaisir !
Par contre, si on croise en route
un certain Léo (Ferré),
évitez de lui parler de votre Martinique natale, surtout en ce moment !
Barnabé, intrigué :
« Ha bon ?!? »
Le vieux Lazare :
« Je vous expliquerai… »
A suivre…