« Les anges maudits, les comptables et le père prodigue…«
Chapitre 29 :
L’amour plus fort que tout ?… (9/12)
« C’est la belle nuit de Noël…«
Depuis 1946, chaque Noël fut illustré par cette chanson incontournable chanté par notre star incontesté de l’époque : Tino Rossi. L’orchestration était de Raymond Legrand (1908-1974), père de Michel Legrand (né en 1932)…
http://www.youtube.com/watch?v=j_joinsETiM&ob=av2n
Quoi que venant lui aussi d’une île française, Barnabé n’allait pas tarder à devenir une star à son tour, même si son rayon d’action était beaucoup plus restreint, se limitant au salon d’Alice et René, sans compter les « petits curieux » (et surtout curieuses !) qui regardaient derrière leur fenêtre et auraient bien voulu être une petite souris…
Ces dames étaient suspendues à ses lèvres, y compris Soeur Marie Genevieve des Anges que mon coquin de Père tentait de déstabiliser !
Barnabé à Tante Geneviève :
« Cette alliance que vous avez au doigt est bien le symbole vous liant à Dieu, à qui vous êtes mariée en quelque sorte ?… »
Tante Geneviève :
« Pas en quelque sorte, mais totalement ! »
Barnabé :
« Et vous n’êtes pas jalouse de toutes ces femmes avec qui vous devez le partager ? »
Isabelle, gênée :
« Barnabé, voyons ! »
Barnabé, joignant ses deux mains :
« De plus, avec lui, c’est : « faites ce que je dis, surtout pas ce que je fais »…
Il instaure la monogamie, prône la fidélité et condamne l’adultère pour nous, « communs des mortels »,
mais se garde bien de respecter lui-même les préceptes qu’il nous impose ! »
Isabelle, fronçant les sourcils :
« Barnabé !! »
Barnabé, mimant le faciès et la voix d’un prêcheur :
« En vérité, je vous le dis : celui que l’on nomme « Le Tout Puissant », non content de posséder le harem le plus fourni de l’histoire de l’univers, s’est livré à l’acte de chair avec la femme d’un autre…
Détail aggravant, un enfant adultérin naquit de cette union : ça a beaucoup fait parler à l’époque ! »
Isabelle, prête à exploser :
« Barnabé, cette fois, ça suffit !!! »
Tante Geneviève, avec ironie :
« Savez-vous, Monsieur Barnabé, qu’il paraît que l’on en parle encore de nos jours ?
Et les incroyants, enfin : ceux qui se disent laïcs, voire anticléricaux, ont cette ouverture d’esprit de fêter chaque année sa naissance en partageant un repas réunissant les familles et les amis ! »
Barnabé :
« Vu sous cet angle…
Dommage que cette tradition sente autant le sapin… »
« Dites, les enfants : je veux bien écrire une thèse sur les évangiles selon « Saint Barnabé de la Calotte Réfractaire », mais j’ai une dinde à préparer pour ce soir, moi !!! »
Cette voix était celle de la femme de Gaston,
Alphonsine…
Barnabé, se tenant le ventre :
« Ha c’est vrai : on remet ça ce soir ! »
Alphonsine :
« Je veux, mon neveux !!!
Et : convocation huit heures… »
Pendant ce temps, mon Grand-Père et Gaston étaient…
Tiens : où étaient-ils, au fait ?!?
Non : je n’y crois pas !!!
Après le déjeuner, ils en avait profité pour se carapater dans la cave de la maison de Gaston et goûtaient le vin pour le réveillon de ce soir, avec une application sans égale … A ce niveau, nous avions franchement dépassé le stade de l’excès de zèle !
René :
« Ce qui est bien avec mon « futur gendre », c’est qu’on n’a pas besoin d’ouvrir la TSF ! »
Gaston :
« Faut voir le côté positif de la chose : il a neutralisé nos fumelles, c’est toujours ça de pris, comme disait ma Grand-Mère…
Goûte-donc voir encore une larmichette de ce rouquin ! »
René :
« Hurps !
Il taquine un peu mais on s’y ferait vite… »
Gaston :
« T’as raison : il attaque sèchement le palais…
A la tienne, mon gars ! »
René :
« Ben tu vois : C’est dans des moments comme ça qu’on serait tenté de croire en Dieu… »
Alphonsine ayant fait soudain irruption :
« Et vous feriez de bonnes recrues !!! »
René et Gaston à l’unisson :
« Ciel, {ta/ma} femme !!! »
Alphonsine, furieuse :
« Vous n’avez pas honte de vous pochetronner le jour de la première visite du futur mari d’Isabelle ?!? »
Gaston, tout penaud :
« Justement, on était en train d’enterrer sa vie de jeune fille… »
Alphonsine :
« Je vais vous enterrer quelque-chose, moi…
Allez vous allonger dans la chambre et refaites-vous une santé pour ce soir !
Je vous préviens, Messieurs : le premier qui fait honte à ma petite Isabelle, je lui remonte les amygdales à coup de lattes dans les valseuses !!! »
Les deux remontèrent les escaliers en se cramponnant l’un à l’autre.
Ils s’affalèrent sur le lit de la chambre de Gaston et Alphonsine.
René, avant de sombrer dans un « presque coma » eu le temps de dire :
« Sacrée Alphonsine : c’est une nature ! »
C’en était une en effet…
Mais c’était aussi la plus brave des femmes.
Elle faisait partie des jeunes volontaires qui s’occupaient des premiers blessés qui revenaient du front dès 1914.
C’est là qu’elle fit la connaissance de Gaston, qui avait été salement amoché, et dont elle pris de plus en plus de plaisir à s’occuper.
Elle, très autoritaire, s’était laissée apprivoisée par la vulnérabilité de Gaston, un homme qui n’avait aucune confiance en lui et semblait accepter les malchances de la vie, comme si c’était le prix à payer pour n’être pas le nombril de ce monde aussi cruel que prétentieux…
http://www.youtube.com/watch?v=3Su5jckSY3s
Le mariage eu lieu l’année suivante.
Son plus grand regret fut de ne jamais avoir eu d’enfants, conséquences des blessures de Gaston. Pour compenser ce vide, les deux accueillaient souvent neveux et nièces qui égayaient leur foyer pendant les vacances scolaires.
Dans les années 20, héritage aidant, ils avaient acheté la maison qui jouxtait « la Villa Isabelle » (à l’opposé de celle de « la Marquise »), qui ne portait pas encore ce nom et qui était à l’abandon depuis quelques années.
De temps en temps, un paysan du coin surnommé « le vieil Aristide », venait débroussailler le terrain.
Alphonsine avait essayé de savoir à qui appartenait cette propriété fantôme…
Aristide :
« Bah, c’est un rentier qui possède plusieurs terrains et propriétés dans le coin, mais il y fout jamais les pieds : pfff, c’est ben des trucs de riche, ça !!!
Si vous voulez mon avis : les affaires doivent pas être ben fameuses en ce moment… »
Alphonsine :
« Tiens-donc ?!? »
Aristide :
« Ben oui : il n’arrête pas d’mettre en vente ses biens, années après années !
Quand je pense que c’t'animal-là possédait pratiquement tout Tigreville…
Si ça continue, il ne lui restera plus que cette villa et le champ qui est juste en face, de l’autre côté de la rue…
Sans compter le fermage que j’occupe. »
En fait, « Charles le catholique » avait fait don de ces deux terrains à son fils René dès 1925 en cadeau de mariage, ce qui explique qu’ils aient échappés à débâcle qui suivit.
En 1940, le veil Aristide, le corps de plus en plus marqué par le poids des années, avait cependant comme un éclair dans le regard.
Il dit à Alphonsine :
« Vous allez bientôt avoir des voisins, ma brav’Dame !
C’est l’fils du proprio qui a décidé de fuir la capitale, parce-que les shleuhs arrivent à vitesse grand V là-bas… Remarquez : z’auront pas d’mal à prendre leurs quartiers, vu que les politicards et même l’armée comptent se faire la tangente !
C’est tout juste si on va pas leur dérouler un tapis rouge à ces cons-là…
Pauvre France !!! »
Alphonsine :
« C’est vrai qu’ici, ce sera plus calme…
Le tout, c’est de savoir si ça va durer ! »
Elle eut la réponse à cette question le 6 juin 1944…
Enfin, seule chose positive en cette sombre année 1940 :
arrivée de René, Alice et Isabelle !
« Sept ans déjà ! » se disait Alphonsine…
Dans le quartier, tous les autochtones regardaient ceux qu’ils appelaient « les parigots » tels des bêtes curieuses, depuis leurs fenêtres où leurs jardins, sur lesquels ils faisaient semblant de travailler.
Il y avait aussi « la Marquise », dont on aurait difficilement deviné que soixante coups venaient de sonner à son horloge,
qui commençait à fantasmer sur le nouvel arrivant mâle, planquée derrière ses rideaux…
Alphonsine et Gaston avaient tout de suite ouvert leur porte et prêté le minimum nécessaire à leurs nouveaux voisins, le temps que les meubles parviennent à destination à l’aide de cette charrette tractée par deux chevaux, louée à une connaissance du vieil Aristide, que René n’attendait pas avant deux jours.
Nos trois « exilés » avaient pris le train, valises à la main…
Isabelle, encore âgée de treize ans, avait un visage triste et désespéré qui toucha Alphonsine au plus profond de son âme.
Elle lui tendit un livre en lui disant :
« Tiens, ma petite fille : je te le donne si tu me promets de me faire un beau sourire… »
Le regard d’Isabelle s’illumina, comme le coeur d’Alphonsine qui ne supportait déjà pas la tristesse des adultes, alors celle d’une enfant ! »
Isabelle, tout sourire :
« Félix le chat !!!
Ho, merci Madame… »
Alphonsine :
« Fais-moi plaisir : ne m’appelle pas Madame mais « Alphonsine », ou « Tante Alphonsine », si tu veux ! »
Une empathie aussi belle qu’irréversible dont Isabelle était la porte d’entrée venait de naître entre deux familles, qui devinrent dès lors inséparables.
Chaque affinité fonctionnait tel un vase communiquant.
Ainsi, à l’autorité et les emportements d’Alphonsine, Alice répondait avec sa modération et son flegme britannique; quand « René l’électricien » râlait trop entre deux crises de neurasthénie, « Gaston le plombier » répondait par sa bonhomie et son humour souvent involontaire.
Cette complémentarité aida à passer le cap difficile des quatre années qui suivirent, créant quelques jalousies au passage…
Car il est bien connu que ça emmerde les gens quand on ne vit pas comme eux, dans l’égoïsme, la couardise et la méchanceté au service des incompétences !
Et oui, cela faisait sept années que les deux familles passaient les nuits de Noël ensemble, mais aujourd’hui, cette veillée avait un goût amer, car ce serait sûrement la dernière avec Isabelle qui allait vivre sa vie.
C’était dans l’ordre des choses, évidemment, mais Alphonsine avait le coeur serré, car elle avait reporté sur la fille d’Alice et René tout l’amour qu’elle n’avait pu offrir à l’enfant que la nature lui avait refusée.
Il en était de même pour Gaston.
En parlant de ce dernier, il fut le premier à se réveiller. Il secoua son ami René qui eut du mal à émerger.
Alphonsine entra dans la chambre et tendit un verre à chacun.
René, se tenant la tête :
« Qu’est-ce que c’est ? »
Alphonsine :
» De quoi faire taire le big-band qui joue dans ta calebasse, mon bon ami :
de l’Aspirine du Rhône ! »
Gaston, se tenant également la tête :
« J’sais pas si c’est un « big-band » qui joue dans mon crâne, mais si ta potion magique pouvait flinguer le batteur, ça ferait du bien à la France… »
Barnabé avait déposé sa valise dans la chambre qu’Alphonsine lui avait préparée.
Il n’était pas dupe et savait que si son anticlérical de futur beau-père avait invité sa soeur « soeur », c’était pour avoir l’excuse de ne pas le recevoir sous le même toit que sa fille, « avant mariage »…
Enfin, quoi qu’il en soit, la veillée de Noël pouvait commencer,
Dans la joie et la bonne humeur…
A suivre…