« Les anges maudits, les comptables et le père prodigue…«
Chapitre 28 :
L’amour plus fort que tout ?… (8/12)
« Duels intimes à Tigreville !!!«
ou :
« Le charme quotidien de la vie à deux…«
http://www.youtube.com/watch?v=_x_g4-0JFBM&feature=related
Mercredi 24 décembre 1947, Tigreville : »avenue du 14 juillet » :
plusieurs coups de klaxons raisonnèrent aux abords de la « villa Isabelle »…
Un des voisins, parlant à sa femme :
« Dis-moi, « Mémène » : c’est pas l’jeudi qu’il passe, l’épicier ambulant ?!? »
Sa femme, »gaie comme le canal », « aimable comme une porte de prison » et assez hautaine (convenons-en !) :
« Mon pauvre Alphonse, tu n’auras donc jamais l’oreille musicale !
Ce n’est pas le klaxon de l’épicier, mais celui de la Traction Avant du Père Gerbesah, qui est venu chercher le futur gendre d’Alice et de René : nos « chers voisins »… »
Alphonse, soupirant comme il le fit bien des fois et prenant à son tour un air précieux :
« Il est certain qu’un des plus grands regrets de mon humble existence, c’est de n’avoir jamais travaillé le solfège « 48 heures sur 24″, guidé par des parents tyranniques, afin d’avoir le droit d’assassiner ensuite les plus grands compositeurs,
à l’aide de ces pianos qui, avoue-le, ne t’avaient rien fait !!! »
« Mémène », subodorant la suite :
« Pourquoi me dis-tu ça mon pauvre ami, et sur ce ton si singulier ?!? »
Alphonse, petit sourire sadique au coin des lèvres :
« Si j’avais l’érudition musicale que tu étales chaque jour à tire-larigot, tel un Sarthois ses rillettes sur une tartine de pain avec le même narcissisme, je pense à la fierté que j’aurais aujourd’hui à me servir de mes esgourdes expertes…
Toutes ces années à grimper puis descendre des gammes, des arpèges, crampes aux doigts et aux cordes vocales juste pour différencier quelque trente ans plus tard le son des klaxons de l’épicier et du du Père Gerbesah…
L’aboutissement de toute une vie, en quelque sorte : comme je t’envie !!! »
Elle, dans un soupir, haussant les sourcils :
« Et moi : si tu savais comme je t’emmerde… »
Puis, regardant depuis la fenêtre Barnabé qui sortait de la voiture :
« Mon Dieu : mais c’est un nègre !!! »
Alphonse, décontenancé :
« Peux-tu me redire ça ?!? »
Elle, sur la défensive :
« …J’ai dit…
Et moi : si tu savais comme je t’emmerde !!! »
Alphonse, grimaçant :
« Mais non : ce que tu m’as dit après… »
Elle :
« C’est un nègre !!! »
Alphonse, faisant preuve d’une compassion hypocrite :
« Pauvres Alice et René : avoir survécu à la guerre pour en arriver à un telle déchéance… »
Pendant ce temps, depuis une autre fenêtre, une femme jouait les concierges.
S’adressant à son mari :
« Il faudra qu’on m’explique comment un plombier peut se payer une telle voiture… »
Le mari était installé dans son fauteuil et lisait son journal tout en tirant sur sa pipe.
Il répond :
« Qu’est-ce que ça peut bien te foutre ? »
Elle, vexée :
« Ce que tu peux être aimable quand tu t’y mets !!! »
lui :
« Et toi : tu ne te reposes donc jamais ?
Après avoir fait courir le bruit que Gaston (Gerbesah) et René avaient collaboré, tu veux les accuser de quoi, cette fois-ci ?
De faire partie du « Gang des Tractions Avant » ?!?
J’te préviens : tes conneries, ça commence à suffire !!!
Si je n’avais pas graissé la patte à cet abruti de Beaufort il y a trois ans, nous aurions eu de sérieux ennuis, si tu vois ce que je veux dire… »
La femme, piquée au vif :
« Je n’ai fait que répéter ce que tout le monde disait; et puis, il n’y a pas de fumée sans feu ! »
Lui :
« Sauf par temps de brouillard ma bonne amie !
Souviens-toi de l’affaire Dreyfus…
Elle :
« Et alors, qu’est-ce que l’histoire de ce juif vient faire là-dedans ? »
Lui :
« Le seul feu qui ait existé dans cette sombre affaire était dans la cheminée qui a occis
notre regretté Emile Zola en 1902,
probablement victime des colporteurs de ragots dont tu te réclames en utilisant leur technique et leur langage, quarante et un ans après la réhabilitation de Dreyfus !!!
Lui, au moins, il signait ses écrits, ce qui n’est pas le cas de tout le monde !
Quand Zola écrivit en pleine lumière »J’accuse »,
d’autres rétorquèrent plus tard, dans l’ombre : « Je dénonce, je calomnie !!! »… »
Yves Duteil, descendant du Capitaine Dreyfus
(qui ne naîtra que deux ans après cette conversation).
http://www.youtube.com/watch?v=5n0ZUvgpzDs
Tandis qu’elle hausse les épaules, il regarde l’horloge puis dit :
« Et ce repas, ça vient ?!?
J’voudrais pas dire, mais on se la saute (traduction : « j’ai faim ! »)… »
La femme, sourire vicieux aux lèvres :
« Hum…
Le facteur aussi, il se la saute ! »
Le mari :
« Plaît-il ?!? »
Effectivement, celle que le quartier avait surnommée »La marquise » s’offrait du bon temps avec le préposé des postes, qui avait laissé son vélo au portail…
On ne connaissait rien de son passé, si ce n’est qu’un vieux rentier l’avait épousée alors qu’elle était très jeune.
L’homme, qui n’avait pas d’héritiers, mourut à l’âge de quatre-vingt ans dans les bras de son épouse qui en avait quarante-huit de moins, et se retrouva dès 1912 à la tête d’une petite fortune.
Depuis, elle profitait… De la vie, dirons-nous (!) à l’image de la Dame décrite dans la chanson…
http://www.youtube.com/watch?v=xE39LiZD4Hg
« Dis-donc, Gaston : tu pouvais aussi faire venir la fanfare de Ouistréham et celle de Cabourg, pendant que tu y étais !!! »
Ainsi parlait mon Grand-Père…
Gaston, tout sourire :
« Et ben ma vieille : on est bougon à c’t'heure ?!?
Je te présente ton futur gendre… »
René et Barnabé se serrèrent la main sans se quitter du regard, et avec une chaleur comparable à celle du Pôle Nord et Sud Réunis, ils inclinèrent la tête en sortant de leurs cordes vocales un « Monsieur » sorti au forceps…
Alors que « Tante Geneviève » et Alice firent leur apparition dans la cour,
Isabelle se disait :
« Et bien, mes ayeux : c’est pas encore gagné !!! »
A suivre…