« Les anges maudits, les comptables et le père prodigue…«
chapitre 23 :
L’amour plus fort que tout ?… (3/12) :
« Quel qu’en soit le prix, on ne badine pas avec l’honneur !!!«
La traction passait non loin de la gendarmerie, ce qui fit sourire Gaston Gerbesah et Barnabé, ce dernier croyant bon de chanter sur l’air d’une chanson célèbre de 1895 :
« Ne dites jamais « mort aux vaches » :
Soyez bons pour les animaux… »
Gaston Gerbesah, rigolant :
« Mais je connais c’t'air-là : ma pauv’Mère me chantait ça quand j’étais p’tiot !
Ce s’rait’y pas « La Pimpolaise », des fois ?!? »
http://www.youtube.com/watch?v=nLCPQoYaus4
Barnabé :
« Oui, mais je me suis permis d’en changer les paroles… »
Gaston :
« Ben, j’avais cru remarquer, oui ! »
Puis il regarde dans le rétro et s’adresse à Isabelle, très soucieuse :
« Et toi, la p’tiote : te fais donc pas de mouron…
Je l’connais bien ton paternel : y va finir par s’y faire, laisse-lui un un peu d’temps, quoi ! »
Barnabé, ironique :
« Je pense qu’en ce Noël de l’an de grâce 1947, on va connaître
de grands moments de convivialité…
http://www.youtube.com/watch?v=E776XisGHlk&feature=related
En plus, tes parents ont invité ta tante bonne-soeur : ça ne pouvait pas me faire plus plaisir !!! »
Isabelle haussa les épaules.
Elle venait de raconter à Barnabé la « grande scène du trois » qu’elle avait subie la veille avec René, son Père, et Alice, la douce Maman si compréhensive habituellement.
Mais si l’on veut comprendre l’histoire, revenons plus de vingt-quatre heures en arrière, à la « Villa Isabelle »…
Isabelle s’était levée tôt ce matin-là et avait terminé sa toilette.
Dans la cuisine, alors que personne n’était réveillé, elle avait fait chauffer de l’eau pour tout le monde dans le gros « pot-à-bouillon » réservé à cet effet, avait rempli son vieux broc en faïence, puis transvasé dans la bassine assortie de la même matière juste ce qui lui était nécessaire…
La bassine et le broc, datant de la fin du XIXème, lui avait été donnés par mon Grand-Père, seul souvenir de la Maman tant chérie de ce dernier, décédée en 1908, et dont la photo figurait au dessus de la cheminée.
« Charles le catholique », son propre père voulait se débarrasser de ce qu’il appelait des « vieilleries » ayant appartenues à Ludivine et qui lui venait de cette « belle-famille suisse », qu’il tenait pour seule responsable de la mésentente du couple et de la mort dramatique de son épouse…
Voyant que René ne se remettait pas du décès de sa Maman, et peut-être pour se faire pardonner un peu de se servir de son fils qu’il avait envoyé chez les jésuites pour se venger de la branche protestante suisse, il avait gardé ce broc et cette bassine qu’il avait laissé à son enfant, qui traitait l’ensemble telle une « Sainte Relique ».
[Revoir "Les Nineties : puisqu'il fallait bien continuer..." (3ème et 4ème parties)]
Il y avait deux points communs entre Staline et mon Grand-Père : ils devinrent anticléricaux car on tenta de leur imposer une éducation religieuse stricte, et ils furent traumatisés par le comportement assez irresponsable de leur pères respectifs.
Heureusement pour la famille (et pour la France, n’ayons pas peur des mots !), la comparaison s’arrêtait là !!!
Isabelle découpait des tranches de la miche de pain achetée la veille qu’elle s’apprêtait à faire griller. Elle venait de sortir la motte de beurre presque congelé du garde manger.
Cela ne faisait que quelques mois qu’elle avait quitté la maison familiale, mais il lui semblait que son absence avait duré plusieurs années.
Ainsi, elle avait parcouru les rues de Tigreville sur sa bicyclette.
http://www.youtube.com/watch?v=eoHjQs6C4UY
Aujourd’hui, l’air était glacé : le col de son manteau était relevé et l’écharpe qui la couvrait jusqu’au menton n’était pas du luxe !
Malgré le froid et l’hiver rigoureux, elle retrouvait des sensations « d’avant », celle où elle était encore la « jeune fille » qui se promenait quelques mois plus tôt dans cette belle campagne normande, humant la nature aux mille parfums qui se terminait le long des dunes, derniers remparts avant la mer, dont elles définissaient la frontière.
Le vent du large fouettait les visages, donnant un peu de fraîcheur à cet été caniculaire de 1947. Cependant, quelque-chose clochait : il faisait plus chaud dans le Calvados que dans les Antilles !!! Qu’était-il arrivé à Dieu pour créer une telle hérésie ?!?
Toujours fidèle à lui-même, le Père Gerbesah, voisin et ami, avait cru bon d’y aller de son commentaire avisé :
« Ben mes aïeux, faudra qu’on m’expliqu’ pourquoi qu’ c’est toujours les années d’pépies que l’pinard est si bon… Pouvez m’croire, c’année, y va batt’ des r’cords : « le p’tit Jésus va descendre en culotte de v’lours » dans nos boyaux !!! »
Sacré Gaston ! Isabelle adorait sa façon de s’exprimer si naturelle et ne supportait pas qu’au sein de sa famille, un des membres du »clan catholique de la Mayenne », issu des ancêtres de Charles, dénigre cet homme si gentil et serviable.
Le Frère de Charles n’ayant pas eu d’enfants, Maman n’avait qu’une seule Tante : la demi-soeur « Geneviève », fruit des amours secrètes du papa de René, née dix ans après lui : la bonne soeur évoquée par Barnabé…
[ Revoir : Nineties : puisqu'il fallait bien continuer... (8ème et 9ème partie)]
http://www.youtube.com/watch?v=7eRSwsomVeE
Hortense, une des cousines éloignées de passage que Maman n’aimait guère, se moquait une fois de plus de Gaston.
Pour Isabelle (Maman), ce fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase, elle lui rétorqua :
« Si Gaston a le langage « rustique », comme tu te plais à le dire avec cette suffisance qui te caractérise, c’est qu’il est « authentique », lui !!! Ce n’est pas un hasard si les deux mots ont la rime similaire… Il y a plus de poésie dans son franc-parler que dans la prose ou les écrits de ceux ou celles qui se prennent pour le nombril du monde !!! »
René, essayant de rester sérieux :
Il pense :
(Qu’est-ce qu’elle lui a mis à cette garce, hi-hi !)
Il dit :
« Enfin, ma fille : tu déraisonnes… »
puis, faussement sévère, il ajoute :
« Je ne te permets pas de parler à ta cousine sur ce ton ! »
Isabelle :
« Hortense, c’est ta cousine, pas la mienne !!! »
Isabelle, si douce à son habitude, sortit de la maison hors d’elle en claquant le porte.
Hortense :
« Hum ! C’est agréable… »
Alice, stupéfaite :
« Je suis désolée, Hortense, je ne sais pas ce qu’elle a aujourd’hui ! »
René, assez ironique :
Il pense, parlant de Hortence :
(Elle commence à me les gonfler, celle-là !!!)
http://www.youtube.com/watch?v=CVaUBBH3KZ0
Il dit :
« Elle a qu’elle grandit, qu’elle s’éveille cette enfant !
A partir d’un certain âge, on devient plus lucide… »
Je ne pense pas qu’on revit cette cher Hortense de sitôt, ni même les autres membres de cette famille exécrable.
Au fil du temps, René devenait de plus en plus bougon et renfermé à la maison, particulièrement depuis « l’épisode des lettres anonymes », qui l’avait rendu méfiant concernant le genre humain.
C’est dehors qu’il trouvait un peu de joie, à l’écart des discutions familiales, sans intérêt à son goût.
S’il n’avait pas eu l’amitié et la complicité de Gaston, il serait un misanthrope pur et dur…
Pendant la guerre, un homme avait manqué de respect à Isabelle, l’alcool aidant. Encore adolescente, elle l’avait répété à son Père qui interpella le gus, souvent aviné du soir au matin. S’en était suivi une dispute puis les choses s’étaient vite envenimées.
René n’était pas bagarreur mais il avait une poigne de fer. Ainsi, il avait soulevé du sol son adversaire, le maintenant au niveau de la gorge. Ce que mon Grand-Père ignorait, c’est que l’autre avait pratiqué la boxe. Il fut donc surpris par un crochet au foie qui lui coupa le souffle et le fit tomber à ses pieds.
Un bruit métallique se fit entendre, René observa les pieds du « boxeur » vaciller avant qu’ils ne soient rejoints par les genoux, puis le reste du corps, comme aimantés vers l’asphalte, qui termina la course de l’ensemble…
Essayant de réguler son souffle, notre pauvre René ne comprit pas tout de suite ce qui se passait, jusqu’à ce qu’il aperçoive notre brave Gaston, une énorme pelle de chantier à la main. Il dit en lui tendant sa main libre :
« Viens t’en, mon René : tu vas choper la crève dans c’fossé ! »
Puis il ajouta en riant :
« On connaît l’appel du Général, on se souviendra de la pelle de Gaston !!! »
René, se tenant le ventre :
« Pfff… Quel couillon !!
T’aurais pu me dire qu’il était boxeur, c’con-là !!! »
Gaston :
« T’es parti tellement vite que même à vélo, j’aurais pas pu te rattraper pour te présenter son pédigré ! »
René :
« Il n’est pas de la première jeunesse mais il cogne dur, la vache… Tu l’as pas tué au moins ? Sinon, je ne te dis pas dans quelle merde on est !!! »
Gaston :
« Pas de première jeunesse ?!? Ha t’es sympa : on est d’ la classe lui et moi !!!
Ha ben tiens : elle s’ réveille « ta belle au bois dormant » !
Tu vois bien que j’l'ai pas tué, c’te sac à vin… »
Plusieurs voisins du quartier firent leur apparition pour aider René.
Lorsque le bonhomme vis la foule, il pris la fuite complètement apeuré en zig-zagant.
René, à la foule :
« Laissez-le partir, en fait, c’est un pauvre type bien plus à plaindre qu’autrechose… »
On ne revit plus cet individu à Tigreville et je ne sus jamais ce qu’il avait dit à Maman.
Mais son regard brillait, avec une petite larme au coin de l’oeil, chaque fois qu’elle me racontait cette anecdote que j’ai entendue une bonne centaine de fois, jusqu’à la fin de sa vie. Elle concluait ainsi :
« Te rends-tu compte qu’il s’était battu pour moi pour sauver mon honneur ?!?… »
A suivre…