« Les anges déchus, les comptables et le père prodigue…«
Chapitre 21 :

L’amour : plus fort que tout ?… (1/12)
Isabelle se précipita dans les bras de Barnabé.
Il oublia quelques instants la contrariété qui était la sienne…

Jamais il n’avait été à ce point »prisonnier » de l’amour d’une femme, c’est bien ce qui l’inquiétait, lui, la séduction faite homme !
Edith Piaf, fort de ses trente-deux ans, ne faisait que confirmer son succès grâce à cette voix qui transperçait les âmes; l’essentiel de ses textes symbolisaient ce phénomène dont il se moquait il n’y a pas si longtemps : la dépendance amoureuse et charnelle !
Elle était en tournée aux États-Unis où elle triomphait avec les compagnons de la chanson.
Barnabé avait entendu une de ces dernières chansons sur la T.S.F. d’un petit bistrot parisien où d’habitude il prenait son petit-déjeuner, avant de se rendre à la faculté de médecine.
Il n’avait jamais fait attention aux paroles qui prirent, en cet instant précis, toute leurs significations…

http://www.youtube.com/watch?v=5EdBLTCdTJU
Le quinquagénaire était embarrassé, il regardait aux alentours, le temps de l’étreinte des deux tourtereaux.
C’est le privilège de ceux qui s’aiment que d’ignorer le monde qui les entourent dès qu’ils se touchent… D’ignorer le temps, surtout.
Notre quinquagénaire, un homme à l’apparence assez simple auréolé d’un béret basque, regardait sa montre.
Il attendait poliment mais commençait à faire les cents pas.
Allez savoir pourquoi il se mit à penser au « Père Einstein », ce célèbre savant de soixante-huit ans, dont il avait entendu parler comme tout le monde et dont il ne comprenait même pas le titre des ouvrages de ceux qui en parlaient ?

Mais si, ça lui revenait, maintenant !
C’étaient les premiers de sa classe qui l’avaient méchamment surnommé « Einstein » parcequ’il avait beaucoup de difficultés à assimiler les cours. Et pourtant, ce n’était pas manque d’avoir essayé et essayé encore…
Pour sûr, ce n’était qu’un « manuel », rien à voir avec ce monde-là.
Mais des plombiers, ce qu’était son père, il en faut, non ? Et puis des manuels aussi : l’prolo, mêm’ s’il a les mains dans l’cambouis et qu’il est sur l’bas du pavé, c’est quand même pas un pestiféré, »bou Diou » !!!
L’école : c’est bien là que commencèrent les premières humiliations…
C’était-y d’sa faute si y comprenait qu’dalle, dans c’te classe avec c’t'odeur d’encaustique qui lui r’filait la déripette ?!?
C’est bien pour ça qu’il avait horreur des parquets.
A la maison y’en avait partout et fallait prendre les patins si on voulait pas s’pendre une tarte heu’ d’la mère dans la tronche !
La classe était déjà divisée en deux; il y avait ceux qui avaient la mémoire de tout, particulièrement de ce qui ne leur servira jamais; « qui seront pharmacien parceque Papa ne l’était pas »,

comme l’écrira Jacques Brel (qui n’avait que 18 ans) bien plus tard…
http://www.youtube.com/watch?v=v6rLLE48RL0
Et puis il y avait l’autre groupe : ceux dont l’orientation était déjà toute tracée, destinée à pérenniser la dynastie de leurs ancêtres ouvriers et paysans. Un sillon fait de labeurs et de privations.
Il eut la mauvaise idée de fêter ses 21 ans en 1914, ce qui lui valut d’aller faire une longue promenade, en première ligne, aux frais de l’Etat avec fusil et sac à dos,

face à des soldats allemands aussi terrorisés que lui…
Et d’en revenir salement amoché, victime d’un obus.

Enfin, une fois soigné, il n’aurait plus à revenir pour participer à cette boucherie qui devait le hanter tout le restant de sa vie. De plus, il faisait désormais partie du club des héros.
Il avait appris que « le premier de sa classe », son camarade qui lui avait pourri sa vie d’écolier à grand coup de mépris, était mort lors des premiers assauts.
C’était ben la peine de faire heu’l'prétentieux et d’men faire baver des ronds d’chapeaux, tiens !!!

Mêm’ là il a fallu qu’il arriv’ premier c’con-là…
Plus personne ne l’appellerait « Einstein » !
La semaine d’avant, il avait écouté avec attention une émission qui lui était consacrée. « E=mc2″, ça ne lui parlait pas; mais lorsqu’il sut que c’était la chute d’un couvreur, observée depuis la fenêtre de son bureau, qui lui inspira les recherches aboutissant à cet équation, il en fut stupéfait !
Effectivement, le speaker expliqua qu’à l’inverse de n’importe quel citoyen lambda, il ne fut pas horrifié par le spectacle dramatique, mais se posa une question :
« Pendant sa chute, quelle a été sa perception du temps par rapport à la mienne, simple observateur ?… »
Et toc : « la loi de la relativité » venait de naître !

Ben finalement, l’pékin qui s’est viandé : l’a servi la science !!! P’t'êt mêm’ qu’il a sauvé l’monde…
http://www.youtube.com/watch?v=clXV8Lb2XLU
Tiens, si je regarde ces deux-là : je suis sûr que l’temps leur paraît court, alors que bibi y s’fait chier… finalement, c’est pas si compliqué la r’lativité : suffit d’mexpliquer, c’est tout !
Voilà comment, sur le quai d’une gare en décembre 1947, ce brave homme pris conscience qu’il n’était peut-être pas si con que ça…

A suivre…